"Même dans les ouvrages les plus romanesques, personne n’aurait pu imaginer tout cela !", s’émeut aujourd’hui encore un vieux routier de la politique. C’est peu dire que les secousses qui ont suivi l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale se font encore sentir. Un "vertige", selon les mots de plusieurs élus, qui n’a épargné aucun camp.
Quand ils traversent Paris le dimanche 9 juin 2024 au soir pour se rendre à l’Élysée, où Emmanuel Macron a convié ses principaux ministres et les cadres de sa majorité, aucun d’entre eux ne se doute du plan préparé par le chef de l’État.
Réunis sur la terrasse du Palais présidentiel, ministres et chefs de partis découvrent les premières estimations. Et elles ne sont pas bonnes. Avec un Rassemblement national donné à plus de 30%, et une majorité présidentielle à 15%, les sondages ne se sont pas trompés. Un peu plus tôt dans l’après-midi, Emmanuel Macron a muri sa décision.
"On ne peut pas rester sourd", expliquera son entourage. De retour du Touquet, où il a passé une partie de la journée, le Président informe Gabriel Attal vers 18 heures.
Le Premier ministre vent debout contre cette décision tente de dissuader le président mais il ne parvient pas à le faire changer d’avis. "Il était très déterminé", racontera plus tard un interlocuteur. Au téléphone, il informe son allié François Bayrou en fin de journée.
Le maire de Pau est favorable à une dissolution, mais "pas tout de suite", explique-t-il. Il ne prendra pas la peine de se rendre à l’Élysée le soir même. Emmanuel Macron joint également Édouard Philippe, resté dans sa ville du Havre. L’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin est aussi consulté.
Il est 19h30 quand débute la réunion. Autour du chef de l’État : Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Rachida Dati, Sébastien Lecornu, Hervé Marseille (le président de l’UDI), Laurent Hénart (celui du Parti Radical), Yael Braun Pivet…
Après avoir énoncé les derniers résultats, Emmanuel Macron dévoile ses intentions. "Je vous ai réunis pour vous annoncer que j’ai décidé de dissoudre l’Assemblée national, pose le chef de l’État. Je l’annoncerai ce soir à la télévision."
Emmanuel Macron évoque "la difficulté à poursuivre les réformes", et les risques de motion de censure lors l’examen du budget. "Tout le monde savait qu’une dissolution était possible. Mais personne ne pensait que ce moment était arrivé", reconnait un témoin.
Je préfère une cohabitation maintenant, plutôt que d’avoir une dynamique qui conduise à installer Marine Le Pen à l’Élysée en 2027
Emmanuel Macron devant les tête défaites de ses ministres
Autour de la table, seule une femme critique ouvertement le choix du chef de l’État : la présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet. Comme le stipule l’article 12 de la Constitution, elle réclame d’être consultée par le Président. "C’est ce que je suis en train de faire", lui répond Emmanuel Macron. "Non. Je souhaite vous voir en tête à tête", rétorque l’élue des Yvelines.
Au cours de leur entretien quelques minutes plus tard, Yaël Braun-Pivet lui fera part de son opposition à cette dissolution. "L’Assemblée n’est pas bloquée, argumente-t-elle. Même le débat sur la fin de vie se passe bien".
Plus tard, l’entourage du chef de l’État laissera fuiter qu’elle aurait suggéré un gouvernement d’union national, dont elle serait Première ministre. Confidence démentie par l’intéressée.
Dans la foulée, c’est au tour du président du Sénat, Gérard Larcher d’être joint au téléphone par Emmanuel Macron. Le ténor des Républicains fait noter chaque mot du Président. "Pour les verser aux archives du Sénat", dira-t-il plus tard à ses proches.
Un peu avant 21 heures Emmanuel Macron enregistre dans le bureau d’Angle de l’Élysée son allocution qui doit être diffusée quelques minutes plus tard à la télévision.
"Le principal enseignement de ces élections est clair : ce n'est pas un bon résultat", pose d’emblée le chef de l’État. "C'est pourquoi, j'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote." Les mots sont posés.
La dissolution sera prononcée dimanche soir et les élections législatives convoquées les 30 juin et 7 juillet. Sur les plateaux télés la plupart des ministres ont appris la dissolution en direct. Ils sont convoqués à l’Élysée pour une réunion de crise.
À la maison de la Mutualité, où sont réunis les militants de la majorité, les visages se figent. Et déjà les premiers doutes : "Vraiment, je ne comprends pas la manœuvre...", réagit un ancien conseiller ministériel.
Lors d’un briefing téléphonique avec les communicants du gouvernement, en pleine nuit, l’Élysée tente de justifier la décision : "C’est un choix audacieux, qui doit permettre de clarifier la vie politique", tonne un conseiller du Président. Mais au bout du fil une voix interrompt les échanges :
"Vous nous demandez d’expliquer cette dissolution mais personne n’a daigné prendre de nos nouvelles. Cette annonce c’est un choc pour nous tous", dit la communicante d'un ministre.
Au fil des heures la rancœur contre Emmanuel Macron croit. "C’est complétement dingue !", peste un influent député. "Le Président ne sent pas le pays ! Il n’y comprend rien ! Pourquoi continue-t-il à faire confiance à des conseillers qui n’ont jamais été élus ?", poursuit-il.
Il n’écoute rien. Il est entré dans un processus d’isolement d’une gravité inouïe
Un ancien soutien
Lors d’une réunion des députés MoDem, lundi après-midi, sur les visages, des larmes coulent. "Je suis folle de rage contre Macron", confie une participante. "On est essoré, épuisé moralement. On a le sentiment d’avoir tout donné depuis deux ans, jour et nuit, et de n’avoir pas été écouté".
Ici et là fleurissent déjà les premières affiches de campagne des candidats de la majorité. Pour la plupart le visage du chef de l’État y est absent. "Pas le choix !", glisse un conseiller d’un important ministre.
À gauche et à droite, pendant ce temps-là, le séisme présidentiel continue de provoquer des secousses. Depuis lundi soir socialistes, communistes, insoumis et écologistes s’accordent pour engager des discussions communes sous la bannière "Nouveau Front Populaire".
Mais c’est un autre accord qui va venir secouer la planète politique. À 13 heures mardi, Éric Ciotti, le président des LR annonce au journal de TF1 son intention de nouer un accord électoral avec le Rassemblement national de Marine Le Pen. Ce dernier prévoirait plusieurs circonscriptions communes LR/RN. Un accord inédit à l’échelon national.
Dans sa voiture, l’ancien patron de l’UMP, Jean-François Copé découvre la nouvelle sur son téléphone. La veille, pourtant, le Président des LR lui avait affirmé l’inverse au bout du fil.
Au Sénat, le président du groupe LR, Bruno Retailleau et Gérard Larcher, qui a vu Éric Ciotti lundi, partagent sa surprise. "Il nous a menti éperdument", s’emporte l’un d’eux.
Il n’a jamais eu de conviction solide. Il y a quelques mois il aurait été prêt à rejoindre Macron pour un poste de Ministre
Un autre membre du Bureau politique des Républicains
Quelques heures plus tard les images du Président des LR confiné dans le siège de son parti, vidé de ses militants, feront le tour des réseaux sociaux.
"LR c’est fini ! La maison va fermer !", poursuit un cadre. À l’Élysée, les stratèges à l’origine de la dissolution se frottent les mains : "La clarification politique appelée de ses vœux dimanche par le Président est actuellement à l’œuvre", textote l’entourage d’Emmanuel Macron.
Face à la presse réunie au Pavillon Cambon Capucines, à deux pas de l’Élysée, le chef de l’État, en chef de campagne, enfonce le clou. Il dénonce des "alliances contre nature" qui ne sont "en aucun cas des majorités pour gouverner" et cible nommément le "pacte du diable" d’Éric Ciotti.
L’alliance à gauche est pour sa part dépeinte comme une "alliance indécente", pour laquelle "Léon Blum doit se retourner dans sa tombe". Mais cette stratégie ne fait pas l’unanimité chez les cadres de la majorité.
"No comment", se résigne un ministre présent dans la salle. D’un côté certains conseillers plaident pour une stratégie très offensive à l’égard des blocs de droite et de gauche.
Nous devons incarner le camp du sérieux
Un proche d'Emmanuel Macron
D’autres, à l’instar de François Bayrou, aimeraient une campagne plus apaisée. Lors du premier comité de campagne de la majorité, l’influent patron du MoDem, plaide plutôt pour un message de rassemblement et une bannière commune mis en avant sur toutes les affiches : "Ensemble pour la République !"
Seul Édouard Philippe ne semble pas emballé. Les candidats de son parti, Horizons, seront libres d’afficher, ou pas, la bannière commune.
La veille, lors de la conférence de presse présidentielle, sa chaise au premier rang est restée vide. Le maire du Havre, désireux de marquer sa distance, a préféré un déjeuner privé.
Sur le terrain, les premiers candidats commencent à battre campagne. Gérald Darmanin dans le Nord est l’un des premiers à se lancer.
"Darmanin il se voit en grand résistant de la lutte contre l’extrême droite", analyse l’un de ses anciens amis. Gabriel Attal, resté très en retrait depuis l’annonce de la dissolution, lui aussi se lance dans les Hauts-de-Seine.
Même Élisabeth Borne s’affaire à peaufiner ses affiches. "Puis-je afficher le logo de ton parti ?", textote l’ancienne Première ministre à un partenaire de la majorité. "Bien sûr !", répond son interlocuteur.
De son côté, à Paris, l’historique Gilles Le Gendre, qui a présidé le groupe En Marche à l’Assemblée repart sans le soutien de Renaissance qui a préféré investir un élu LR proche de Rachida Dati.
Darmanin il se voit en grand résistant de la lutte contre l’extrême droite
Un membre du Bureau politique des Républicains
Dans les Yvelines, les Hauts-de-Seine, en Haute-Saône, partenaires de la majorité et barons locaux LR s’entendent sur des candidatures communes.
Dans le Val-de-Marne, la majorité sortante ne devrait pas invertir de candidat contre le maire de L’Haÿ-les-Roses, Vincent Jeanbrun, proche de Valérie Pécresse, agressé pendant les émeutes de juillet 2023.
"Ne pas insulter l’avenir", glisse un conseiller. L’édile avait été approché lors d’un précédent remaniement.
Une fois les candidatures bouclées, c’est au fond qu’espère pouvoir s’attaquer la majorité. "Démontrer que LFI et le RN ne sont pas prêt à gouverner la France dans trois semaines dans la période des JO et de la guerre en Ukraine", explique un proche d’Emmanuel Macron.
Interrogé en marge d’un déplacement à Bari (Italie) pour le G7, le président de la République revient vendredi 14 juin sur les programmes de l’opposition, le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national. Sur le sujet de la guerre en Ukraine et la situation à Gaza, il dénonce les "avis contraires" au sein des alliances : "On est chez les fous, ce n’est pas sérieux".
Chaque ministre a ainsi été prié d’y contribuer dans son domaine. Vendredi soir, l’entourage de Bruno Le Maire a ouvert le bal en partageant aux journalistes un "chiffrage" des programmes du Nouveau Front Populaire et du RN… Mais en prenant soins de préciser que "les services de Bercy n’ont pas travaillé pour ce chiffrage"… Cela va mieux en le disant !
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