Ils sont plus de 300 à s'être succédé à la barre depuis un mois et demi. Des pères, des mères, des frères des sœurs, des maris, des femmes, et bien sûr des victimes directes. Alain, père de famille, est l'un des derniers proches des victimes des attentats de Paris à être venu témoigner au procès. Des témoignages tous plus émouvants les uns que les autres.
Parmi les témoignages qui m'ont le plus marquée, ce sont ceux des enfants, car il y en avait au Bataclan. Je pense à cet enfant de 5 ans, caché sous un corps sans vie. Sa mère et sa grand-mère sont mortes ce soir-là. C'est un policier de la Bac qui a fini par voir les petites jambes qui s'agitent dans la fosse, une petite tête avec un casque antibruit sur les oreilles. Le policier l'a pris dans les bras, il lui a mis son blouson sur la tête pour ne pas qu'il voit l'horreur autour de lui et le petit garçon lui a dit : "Vous êtes gentil monsieur, vous êtes gentil".
Je pense aussi à tous les parents qui sont venus raconter comment ils ont dû trouver les mots. Ce petit garçon à qui on a dit que son papa était parti dans une fusée sur une étoile. Il a tout de suite compris que son père était mort, mais à chaque fois que le ciel devenait noir, il avait peur que son papa se fasse mal en tombant du ciel, de très haut.
Personne n'a jamais vécu un tel drame, et Dieu sait que les assises, c'est toujours une sacrée plongée dans les abîmes. Il faut imaginer que chaque témoignage est d'une puissance... Tous les rescapés ont l'air de revenir de l'enfer. Chaque jour jusqu'à tard le soir, nos carnets se remplissent de mots de mort, de râles d'agonie, de souffrances infinies. Il y a cette culpabilité du survivant qui hante aussi tout le monde. La culpabilité de ne pas avoir pu aider celui qui tendait la main, la culpabilité d'avoir laissé quelqu'un derrière soi.
Bref, ce mois, on l'a un peu traversé en apnée. Et je crois que cela vaut aussi pour tous ceux qui sont assis dans cette cour d'assises. On a vu des avocats de la défense essuyer une larme... Et puis on les oublie souvent, mais il faut penser aux interprètes qui passent toute la journée à traduire ces récits aux accusés.
Ce procès est-il vraiment utile ? La question peut choquer, mais on se l'est posée nous aussi journalistes, au tout début de ce procès. La Cour d'assises est quand même là pour une chose : juger les 14 accusés. Alors est-ce que c'est vraiment la place des parties civiles de raconter encore et encore ? Mais je dois dire que ce mois de témoignages a tout changé. C'est une chose de lire un dossier judiciaire, ça en est une autre d'entendre la terreur seconde par seconde. Il y autant de 13 novembre que de victimes.
Et je crois que c'est justement cette masse de récits qui fait qu'on commence à toucher du doigt l'horreur des faits. Puis, on pourrait croire qu'on sait tout 6 ans après. Mais en réalité, ce procès permet de reconstruire le puzzle. Des rescapés qui cherchent l'inconnu qui les a aidés, d'autres qui ont besoin de savoir si leur compagnon d'infortune a survécu, où était mon mari ? A-t-il souffert ? Il y a des appels à témoin tous les jours.
Les accusés, eux, réagissent très peu. Il faut dire que ce n'était pas leur moment. Ils ne sont pas censés prendre la parole avant mardi et c'est là que le procès en tant que tel va commencer. La Cour va examiner les personnalités des accusés, leur parcours de vie... Les interrogatoires, eux, ne sont pas attendus avant l'an prochain, en janvier. C'est vous dire à quel point nous sommes partis dans un marathon.
Pour l'instant, la plupart des accusés se taisent donc. Salah Abdeslam, lui, fait quelques saillies sur la religion de temps à autre. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il n'a pas l'air d'être bouleversé par ce qui se joue depuis un mois. Son voisin dans le box, Mohamed Abrini, lui, a eu le don d'agacer la salle. Il s'est plaint de ne pas pouvoir parler avec Abdeslam pendant les suspensions d'audience : "Ça fait six ans que j’ai pas vu mon pote". "Ca fait 6 ans que je ne vois plus mon mari", lui a rétorqué une jeune veuve, "et je ne le verrai plus jamais".