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Face au réchauffement climatique, les Jeux olympiques d'hiver ont-ils encore un avenir ?

La flamme olympique de Milan-Cortina 2026 sera allumée ce mercredi 26 novembre à Olympie, en Grèce. Le lancement symbolique d’une édition alpestre des Jeux d’hiver, événement dont la tenue est toujours plus contestée en raison de son impact environnemental.

Le site de snowboard-cross des Jeux d'hiver de Pékin 2022, le 7 mars 2022 à Zhangjiakou, en Chine.

Crédit : MICHAEL STEELE / GETTY IMAGES ASIAPAC / Getty Images via AFP

Gabriel Joly

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"Comment peut-on continuer avec un événement sportif, dont l'ampleur et la voilure sont de plus en plus grandes, quand on a des impératifs liés au dérèglement climatique et aux catastrophes environnementales ?" À l'heure où la torche de Milan-Cortina sera allumée avec le feu d’Olympie ce mercredi 26 novembre, à moins de trois mois du début de l'édition 2026, difficile pour Delphine Larat de trouver encore un sens aux Jeux d'hiver. Depuis le début du projet, cette juriste et habitante des Hautes-Alpes lutte, avec le collectif citoyen JOP 2030, contre la future tenue de l'événement dans les Alpes françaises d'ici cinq ans.

La semaine passée, son mouvement, ainsi que des élus, des citoyens et des associations, ont vu le comité onusien de contrôle du respect de la convention d'Aarhus sur la "démocratie environnementale" juger recevable leurs requêtes contre l’attribution des JO 2030 aux régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Auvergne-Rhône-Alpes. Sur le fond, les requérants déplorent l'absence de consultation du public dans le processus décisionnel autour de cette candidature. Et ce, en dépit de son impact environnemental évalué à "plus de 800.000 tonnes de CO2", soit l'équivalent d'environ 400.000 vols aller-retour Paris-New York, sur un milieu montagnard déjà fragilisé.

"Aujourd'hui, les habitants voient vraiment les conséquences du dérèglement climatique avec de petites langues de neige sur des pistes avec de la terre, raconte Delphine Larat, dont les deux filles ont pratiqué le ski alpin à haut niveau. "On s’interroge sur l'incongruité de dépenser des milliards d'euros pour réhabiliter des tremplins de ski ou des pistes de bobsleigh, qui ne bénéficieront pas au plus grand nombre après les Jeux."

Le modèle économique du CIO à revoir ?

Face aux conséquences du dérèglement climatique, ce discours qui trouve de plus en plus d'écho. Sa persistance au sein de la société civile est-elle de nature à remettre en cause l'existence des Jeux d'hiver à moyen terme ? Ces enjeux ne doivent en tout cas plus être "facultatifs", estime le biathlète Martin Fourcade, sachant que la Cour des comptes a publié un rapport estimant que seuls quelques stations de skis françaises peuvent espérer poursuivre une exploitation au-delà de 2050.

"(La question du climat) doit être une sorte de base sur laquelle construire, plutôt que (la) rajouter au milieu d'un projet pour le rendre acceptable. (...) Un projet comme les Jeux doit engager les transitions nécessaires."

Martin Fourcade, dans "L'Equipe" en octobre

Le sextuple champion olympique justifiait alors d'avoir renoncé à prendre la tête du comité d'organisation (Cojop) tricolore pour 2030 : "Le message ne me semblait pas entendu auprès de certains interlocuteurs. C'était plus une cosmétique qu'une fondation." Après plusieurs éditions décriées, notamment en Russie pour Sotchi 2014 et en Chine avec Pékin 2022, le Comité international olympique (CIO) s'est pourtant fixé plusieurs objectifs, réduisant ses émissions de gaz à effets de serre de plus de 30% de 2021 à 2024. Le tout, avec en ligne de mire un objectif de 50% d'ici 2030.

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En décembre 2022, la commission exécutive du CIO a par ailleurs décrété que les futurs hôtes devront désormais afficher une "fiabilité climatique", utiliser un maximum de sites existants et temporaires, et s’abstenir de construire de nouvelles infrastructures uniquement pour les épreuves. 

Des annonces qui ne changent pas grand chose, d'après Delphine Larat. "Tant que vous aurez le modèle économique du CIO, cela aura les mêmes conséquences", déplore-t-elle. "Quand vous déplacez des milliers de personnes, que vous avez comme sponsor historique le plus gros pollueur plastique du monde avec Coca-Cola, où est-ce que vous voulez mettre l'environnement ? Pour vous faire une idée, la ligne de dépense 'durabilité, environnement et héritage', c'était 1,4% du budget du Cojop de Paris 2024."

"Il faudra expliquer point par point en quoi ces Jeux (2030) seront plus vertueux. On porte bien l’ambition, avec les régions, qu’il s’agisse des Jeux les plus sobres de l’histoire, en matière d’empreinte carbone, mais aussi financière. C’est le pari qu’on s’est fixé et on le tiendra", a répondu mardi la ministre des Sports Marina Ferrari dans Ouest-France, déplorant que des personnes "instrumentalisent" le dossier ou "racontent à peu près n’importe quoi" dessus.

46 sites viables dans le monde en 2080 ?

"Rien dans nos recherches ne laisse présager de devoir mettre fin aux JO d'hiver", assure Daniel Scott. Ce professeur à l’université canadienne de Waterloo a mené une étude, commandée par le CIO, pour juger de la viabilité sur le plan climatique de 93 sites pour cet évènement à l’avenir. Concrètement, l'enquête publiée l'an passé évaluait si un site disposera, en février, d'un enneigement d'au moins 50 centimètres et si la qualité de cette neige pourra y être préservée face aux températures.

Résultat de l'étude ? Malgré un bilan très décevant dix ans après la signature de l'Accord de Paris, 52 sites resteraient fiables pour les Jeux d’hiver dans les années 2050 et 46 dans les années 2080, si on suit le scénario intermédiaire du Giec, le groupement d'experts intergouvernemental sur le climat, le plus probable à l'heure actuelle. "Même avec un scénario à fortes émissions, certains sites seraient épargnés. En l'état, les Jeux olympiques d'hiver continueront après 2100", certifie l'universitaire, dont les calculs prennent en compte la possibilité de recourir à la neige artificielle, comme c'est le cas aux JO depuis Calgary 1988.

Une souffleuse à neige pour préparer la piste du centre de ski de fond et de biathlon des Jeux d'hiver de Sotchi 2014.

Crédit : TOM PENNINGTON / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP

"Des gens considèrent que produire de la neige avec des canons est non durable, mais ce n'est pas vrai : tout dépend du lieu", assure Daniel Scott. "En France, 100% du réseau électrique est alimenté par l'énergie hydraulique, donc vous pouvez fabriquer autant de neige que vous voulez, sans empreinte carbone. En revanche, dans le Colorado, où le réseau électrique est largement alimenté par le charbon, cela génère une empreinte énorme", explique-t-il, tandis que la neige de culture est également critiquée pour sa tendance à imperméabiliser les sols à force d'être tassée.

"La question est aussi de savoir d'où provient l'eau et s'il y en a suffisamment à proximité", appuie Robert Steiger, de l'université autrichienne d'Innsbruck, qui a aussi mené l'étude commandée par le CIO. "C'était d'ailleurs la critique formulée contre Pékin 2022 : les épreuves se déroulaient dans des régions très arides. Mais dans l'absolu, il existe des façons de réduire l'impact environnemental de la neige artificielle." Parmi elles, il y a la possibilité d'interdire des produits chimiques servant à traiter cette neige, afin qu'elle soit réutilisée comme eau potable ou recyclée pour l'agriculture.

Logement, transports et... compétitions de vélo en réflexion

Mais alors les Jeux d'hiver sont-ils d'ores et déjà sûrs de survivre ? Comme la réponse dépend de notre capacité à limiter nos émissions, il s'agit de continuer de se pencher sur des pistes concrètes pour y parvenir. En premier lieu, trouver un équilibre entre répartition des logements et politiques publiques des transports. Dans un souci de toujours privilégier des infrastructures déjà existantes, le CIO s'est récemment montré favorable à des candidatures avec plusieurs sites dispatchés sur une aire géographique plus large : de la Haute-Savoie à Nice pour 2030 par exemple.

"L'impact le plus important des Jeux olympiques d'hiver sur la nature est lié aux travaux de construction. Cela entraîne des dommages environnementaux avec l'imperméabilisation des surfaces et une augmentation des émissions de CO2."

Robert Steiger, co-auteur de l'étude de 2024 sur la fiabilité climatique de 93 sites pour les JO d'hiver

Problème : les détracteurs des JO d'hiver argumentent a contrario qu'avec plus de lieux d'épreuves, découlera automatiquement la nécessité de bâtir des hébergements de masse à plus d'endroits. De même, des Jeux répartis à une plus vaste échelle engendreraient des flux de personnes supplémentaires (athlètes, staffs, organisateurs, médias, spectateurs...). De quoi affecter négativement le bilan carbone en fonction des modes de déplacement choisis. Ces arbitrages incomberont au CIO dans les toutes prochaines décennies.

En attendant, les différentes fédérations sportives planchent, elles, pour réduire l'impact des JO sur le climat avec l'ajout de disciplines jugées plus durables. Dans La Voix du Nord en février, le patron de l'Union cycliste international David Lappartient avait plaidé pour l'intégration du cyclo-cross et du cross-country en 2030 : "Avec les enjeux d’évolution du climat, nous voulions ouvrir le spectre. Il y aura bien sûr les sports traditionnels de neige mais aussi d'autres disputés en hiver", expliquait-il, sans toutefois faire mention des bénéfices importants que retirerait le milieu cycliste d'une présence aux Jeux d'hiver d'athlètes comme Mathieu van der Poel ou Wout van Aert.

"En remplaçant les activités sur neige et sur glace, l'effet positif serait de disposer d'un plus grand nombre de sites fiables pour accueillir l'événement. Mais s'agirait-il encore vraiment de Jeux d'hiver ?", pointe Robert Steiger. Du reste, l'association des fédérations de sports d'hiver ne voit pas d'un bon œil une épreuve se pratiquant à vélo s'inviter au programme. "Cela affaiblirait la marque et la culture uniques de nos Jeux, célébration des disciplines pratiquées sur la neige et la glace", estimait-elle début novembre, appelant à "innover en développant les sports existants plutôt qu’en transformant l’esprit des Jeux".

Des Jeux paralympiques en danger ?

En cas de modification de la charte olympique en ce sens, la présence du cyclo-cross et cross-country - mais aussi du gravel et du trail qui sont évoqués -permettrait du moins d'"ouvrir les sports olympiques d'hiver à d'autres nations, notamment à l’Afrique", dixit David Lappartient. Un point positif au moment où la dimension universaliste des Jeux d'hiver, déjà relative, s'apprête à en prendre un coup. Dans leur étude, Robert Steiger et Daniel Scott montrent que les sites potentiels se trouvent quasi exclusivement en Amérique du Nord, en Europe et en Asie.

Emplacements des hôtes fiables sur le plan climatique dans le scénario d'émissions moyennes pour les années 2050 (seuil de 50 cm de neige).

Crédit : Etude "Climate change and the climate reliability of hosts in the second century of the Winter Olympic Games", 2024.

Pire encore pour les valeurs inclusives prônées par le CIO : le principal danger du réchauffement climatique concerne les Jeux paralympiques, avec seulement 22 sites fiables dans les années 2050 et 16 dans les années 2080. La raison ? Ils ont historiquement lieu en mars, lorsqu'il fait plus chaud. 

"C'est l'une des décisions importantes que le CIO et le comité international paralympiques vont devoir prendre : fusionner les deux pour qu'ils aient lieu ensemble en février, avec le risque d'avoir encore moins d'hôtes prêts à prendre la totalité des opérations en charge simultanément, ou bien les dissocier", résume Daniel Scott, conscient que les "Para" sont censés profiter de l'engouement des JO pour faire gagner en visibilité à la cause du handicap.

Et de conclure : "Il y a des milliers de raisons pour lesquelles nous devons tout faire pour nous confirmer à l'Accord de Paris, l'avenir des Jeux d'hiver en est une de plus."

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