5 min de lecture

Pourquoi l'interdiction des réseaux sociaux aux adolescents est encore loin d'être une réalité en France

L'Australie est devenue mercredi 10 décembre le premier pays à interdire l'usage des réseaux sociaux à ses adolescents. Emmanuel Macron aimerait que la France s'inscrive dans ses pas avant la fin de son mandant. Mais la route est pavée d'obstacles règlementaires et techniques.

Plusieurs applications des réseaux sociaux tel que X, Facebook, Tiktok

Crédit : Michael M. Santiago / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Benjamin Hue

Je m'abonne à la newsletter « Infos »

Depuis le 10 décembre 2025, les adolescents australiens se réveillent dans un monde sans réseaux sociaux. Les moins de 16 ans ne peuvent plus se connecter à Instagram, TikTok, YouTube et une dizaine de plateformes interdites cette semaine dans le pays. Une première mondiale, justifiée par la volonté de lutter contre l’addiction aux écrans et de limiter l’exposition des mineurs aux contenus toxiques. 

Cette décision radicale est suivie de près par un certain nombre de pays qui ne cachent pas leur intention de s'en inspirer. À commencer par la France, qui a fait de la lutte contre les effets toxiques des réseaux sociaux une priorité ces dernières années sous la présidence d'Emmanuel Macron.

À l'occasion d'un débat sur le sujet à Saint-Malo, le chef de l'État a annoncé cette semaine son intention de faire voter, avant la fin de son mandat en 2027, une loi interdisant l’accès aux réseaux sociaux avant 15 ou 16 ans. Dans la majorité, certains ont déjà anticipé cette échéance : la députée Renaissance Laure Miller a déposé, mi-novembre, une proposition de loi allant dans ce sens. Le texte doit être examiné à l’Assemblée nationale à partir du 19 janvier.

Un couvre-feu numérique

Cette proposition de loi ambitieuse empile les mesures protectrices, inspirées des conclusions de la commission d'enquête parlementaire sur les effets néfastes de TikTok sur les jeunes, que présidait la députée ces derniers mois, et des travaux du comité écran réuni par Emmanuel Macron l'an dernier. 

À écouter aussi

La mesure phare et symbolique est l'interdiction totale des réseaux sociaux pour les moins de 15 ans. Le projet prévoit aussi un couvre-feu numérique à 22 heures pour les mineurs âgés de 15 à 18 ans, et un passage automatique en noir et blanc de l’écran après 30 minutes d’utilisation, censé atténuer l’attrait des plateformes. Un arsenal pensé pour réduire le temps passé sur des plateformes comme TikTok, Instagram ou Snapchat, très populaires chez les jeunes. 

Le périmètre du texte doit encore être précisé, alors que la plupart des applications ont désormais débordé de leur cadre initial pour devenir de véritables réseaux sociaux, comme Telegram, Discord, Fortnite ou Roblox.

La France a déjà adopté la majorité numérique à 15 ans

Si le principe de protéger les mineurs des dérives des réseaux sociaux fait plutôt consensus, la méthode divise encore la classe politique, comme les experts. Faut-il abaisser l'interdiction à 13 ans, l'âge que les réseaux sociaux mettent déjà en avant pour se conformer à la législation américaine ? Faut-il renforcer le contrôle parental ? Laisser les plateformes s'auto-réguler ? Les avis divergent et beaucoup doutent de l'efficacité réelle d'une interdiction stricte à l'heure où les adolescents sont passés maîtres dans l'art de contourner les règles.

Cette proposition de loi n’est pas la première tentative française de régulation des usages numériques des jeunes. La France a déjà fait voter la loi Marcangeli qui fixe la majorité numérique à 15 ans. Depuis 2023, un adolescent de 14 ans n'a, en théorie, pas le droit d'ouvrir un compte sur TikTok ou Instagram sans l’accord de ses parents. 

En pratique, la règle n’a jamais été appliquée car elle entre en conflit avec le droit européen. Bruxelles a estimé que le texte venait mordre sur le périmètre du règlement sur les marchés numériques DSA. Le problème a de fortes chances de se poser à nouveau pour la nouvelle loi, car les textes européens ne prévoient pas d’interdiction pure et simple des réseaux sociaux pour les ados. Si des projets sont en cours pour les faire évoluer, ils ne devraient pas aboutir avant un à deux ans.

Le casse-tête de la vérification d’âge

Au-delà du cadre réglementaire, de nombreux obstacles se dressent encore face à une mise en application concrète de ces mesures. Pour interdire les réseaux aux mineurs, les plateformes doivent connaître l'âge de leurs utilisateurs avec certitude. Ce qui soulève une problématique majeure : comment faire pour vérifier l'âge des internautes sans empiéter sur leur vie privée et la sécurité de leurs données personnelles ?

Plusieurs pistes technologiques sont testées, notamment la reconnaissance faciale, capable d’estimer l’âge via l’analyse du visage, ou le scan d’identité, qui oblige à transmettre une pièce officielle, ce qui pose la question de la collecte de données sensibles par des plateformes pas toujours exemplaires en la matière.

La France défend une solution intermédiaire : le double anonymat. Un tiers de confiance certifie l’âge de l’utilisateur, sans révéler son identité aux plateformes. Validé par les experts, ce compromis technique est encore balbutiant dans les faits. Les internautes français et britanniques ont expérimenté ces systèmes ces derniers mois avec l'entrée en vigueur de restrictions dans l'accès des sites pornographiques aux mineurs. Certains outils se sont révélés moins anonymes qu'escompté, quand d'autres ont pu être déjoués par l'usage de VPN ou avec de fausses cartes d'identité récupérées en quelques clics.

Tant que la technologie ne sera pas standardisée à l’échelle européenne, aucune interdiction ne sera vraiment efficace. Une application de l’Union européenne doit être testée en France et dans plusieurs pays l’année prochaine pour tenter de résoudre ce problème. La solution pourrait aussi passer par un contrôle de l'âge réalisé directement sur les appareils, smartphones et ordinateurs, par Apple, Google ou Microsoft. 

Avec le risque de voir poindre un horizon où tous les internautes seraient contrôlés demain, alors que la vérification d'âge n'a pas encore démontré sa capacité à rendre vraiment Internet plus sûr pour les ados. Une certitude : le problème ne pourra pas être résolu uniquement par la technologie. Pour protéger les adolescents, il faudra aussi investir dans l’éducation numérique, à l’école comme au sein des familles.

La rédaction vous recommande
Retrouvez "La règle d'or numérique", chaque dimanche, dans le flux "Ça peut vous arriver"

Retrouvez désormais "La règle d'or numérique" tous les samedi à 6h53 dans "RTL Week-end" présenté par Stéphane Carpentier.  Comment naviguer en toute sécurité sur Internet ? Quels sont les réglages à paramétrer pour protéger vos données personnelles ? Comment repérer les arnaques en ligne avant de tomber dans le panneau… Benjamin Hue, journaliste spécialiste des nouvelles technologies, répond ici aux questions que vous vous posez sur le numérique et  votre quotidien en ligne.

Abonnez-vous
La rédaction vous recommande

L’actualité par la rédaction de RTL dans votre boîte mail.

Grâce à votre compte RTL abonnez-vous à la newsletter RTL info pour suivre toute l'actualité au quotidien

S’abonner à la Newsletter RTL Info