Les déboires de Twitter vont-ils profiter à Facebook ? Le groupe Meta s'active en coulisse pour développer une plateforme concurrente au réseau social à l'oiseau bleu. L'entreprise fondée par Mark Zuckeberg a confirmé à l'AFP qu'elle réfléchissait à "un réseau social décentralisé et indépendant permettant de partager des messages écrits en temps réel". "Nous pensons qu'il existe une opportunité pour un espace séparé où les créateurs et les personnalités publiques peuvent partager des mises à jour opportunes sur leurs intérêts", a déclaré un porte-parole de Meta. Une déclaration qui fait suite à une information dévoilée par le site américain Platformer.
Facebook ne donne ni date de lancement, ni de nom pour ce projet baptisé P92 en interne, qui témoigne de sa volonté d'occuper un créneau que Twitter a de plus en plus de mal à tenir depuis son rachat par Elon Musk pour 44 milliards de dollars en octobre 2022. En proie à un effondrement de ses revenus, à une fuite des utilisateurs et perturbé par des pannes à répétition, après le licenciement d'une majorité de ses salariés, Twitter traverse une passe difficile depuis plusieurs semaines. Facebook y voit une opportunité de trouver un nouveau relai de croissance à l'heure où il est lui-même challengé sur ses bases par TikTok.
Pour ce nouveau pari, Meta souhaiterait s'appuyer sur la puissance d'Instagram, sa plateforme la plus dynamique à travers le monde, qui compte suffisamment de comptes de personnalités publiques et de célébrités pour impulser un tel projet. L'idée serait de permettre aux utilisateurs d'accéder au nouveau réseau social grâce à leur nom d'utilisateur et leur mot de passe sur l'application Instagram. Le chantier a d'ailleurs été confié à Adam Mosseri, responsable d'Instagram depuis 2018.
Ce nouveau service aurait aussi la particularité d'être décentralisé. C'est-à-dire, qu'il ne serait pas dirigé par une instance centrale, qui déciderait seule du fonctionnement de l'algorithme, des conditions d'utilisation et de la politique de modération, comme c'est le cas sur Facebook, par exemple. À la place, il s'appuierait sur des serveurs indépendants, gérés directement par des entités tierces, interconnectées entre elles toute en étant régies par leurs propres règles. Ce système a l'avantage de donner plus de poids aux utilisateurs et d'être plus respectueux de leurs données tout en favorisant la compatibilité entre les plateformes de ce type, pour transférer des publications ou des "likes", par exemple.
La décentralisation est un concept de plus en plus populaire dans la Silicon Valley après les abus répétés des plateformes avec les données personnelles ces dernières années. Il est notamment défendu par le fondateur de Twitter, l'entrepreneur Jack Dorsey, qui a monté sa propre plateforme, BlueSky. Il est aussi au coeur du fonctionnement du réseau social Mastodon. Ces plateformes ont gagné en popularité depuis le rachat de Twitter, un épisode qui a illustré aux yeux du plus grand nombre le risque que peut représenter un changement de gouvernance pour un réseau social centralisé. Elles n'ont toutefois pas encore réussi à séduire massivement le grand public. La décentralisation implique en effet un certain nombre de complexités techniques qui rendent ces services moins faciles à utiliser pour les internautes et plus difficiles à monétiser pour leurs créateurs.
Le choix de la décentralisation constituerait une rupture majeure pour un groupe comme Facebook, symbole des réseaux sociaux centralisés et de leurs dérives monopolistiques, qui a toujours articulé sa stratégie sur des environnements fermés, régis selon ses propres règles - publicitaires, notamment - lors de la décennie écoulée. Une telle initiative pourrait lui permettre de s'affranchir d'un certain nombre de critiques dont il fait régulièrement l'objet à l'heure où sa situation est scrutée de près par les régulateurs américains et européens.