Nous sommes le 29 mars 1988, à Paris. Il est un peu moins de dix heures du matin, rue des Petites-Écuries (Xe arrondissement de Paris), lorsqu'une femme s’apprête à ouvrir la porte des bureaux de l’ANC (Congrès national africain). C’est là, sur le palier qu’elle est abattue soudainement de cinq balles dans la tête, tirées à bout portant, avec un silencieux.
Elle s’appelle Dulcie September, sud-africaine âgée de 52 ans. C’est une militante contre l’apartheid qu’on vient d’abattre. Une femme surveillée, menacée, et surtout victime d’un crime politique resté impuni. Dulcie Evonne September naît en 1935 à Athlone, dans la banlieue du Cap, en Afrique du Sud. Elle est issue de la communauté des "coloured", les métis du Cap, considérés comme citoyens de seconde zone sous l’apartheid.
Très tôt, elle choisit le combat. D’abord au sein du Congrès panafricain, puis de l’ANC. En 1963, elle est arrêtée. Elle passera cinq ans en prison. À sa libération, elle est placée sous surveillance. En 1973, elle prend un visa permanent et quitte son pays, un exil définitif. Direction l’Europe : elle devient enseignante, militante et voix de l’ANC hors de l’Afrique du Sud.
Elle travaille d'abord au Royaume-Uni, et en 1984, Dulcie ouvre à Paris le bureau de représentation de l’ANC pour la France, la Suisse et le Luxembourg. Dulcie s’installe dans le Xe arrondissement, mais à Paris, elle ne se contente pas de militer, elle enquête. En 1977, les Nations Unies adoptent un embargo sur la vente d’armes à l’Afrique du Sud. Plusieurs pays, dont la France, s’en affranchissent.
Dans les années 1980, l’Afrique du Sud reste encore un des meilleurs clients de l’industrie française, une chose que Dulcie sait bien. Une semaine avant sa mort, elle reçoit deux ingénieurs français. Ils lui révèlent des informations sensibles sur le programme de satellite Spot, lié à la télédétection et à des usages militaires. Dulcie comprend qu’il y a là un lien avec des livraisons illégales, et peut-être avec le nucléaire. Elle s’approche de la vérité.
Elle rencontre des témoins, récupère des documents, alerte sur la centrale sud-africaine de Koeberg et sur les filières d’exportation illégales d’armes vers Pretoria. À Paris, ses prises de position dérangent. En 1987, elle est agressée dans le métro, Dulcie reçoit de nombreuses menaces. L’ANC alerte les autorités françaises, mais aucune protection ne lui est accordée jusqu’au 29 mars 1988, le jour où quelqu’un décide de la faire taire.
La justice française classe le dossier dès 1992, quatre ans après les faits, sans qu'il n'y ait eu de procès. En 1998, le colonel Eugene de Kock, ex-chef des escadrons de la mort sud-africains, témoigne devant la Commission Vérité et Réconciliation. Ce dernier désigne un tueur présumé : Jean-Paul Guerrier, alias “Capitaine Siam”, un mercenaire français proche de Bob Denard.
En 2019, la famille de Dulcie September dépose plainte et exige la reconnaissance du meurtre comme crime d’apartheid, imprescriptible, selon le droit international. La justice française oppose pourtant la prescription, considérant l'assassinat en tant que crime de droit commun. Dix ans plus tard, aucun recours n’est possible, et personne n’a jamais fait appel du non-lieu prononcé en 1992.
En 2022, le tribunal de Paris rejette une nouvelle fois la demande. Emmanuel Macron, interpellé, n’ouvrira pas les dossiers. Jacqueline Dérens, amie et biographe de Dulcie, évoque un "étouffement judiciaire". Les obsèques de Dulcie September ont eu lieu au Père-Lachaise (XXe arrondissement de Paris) devant des milliers de spectateurs. Ses cendres ont aujourd’hui été rapatriées en Afrique du Sud.
>> Les Voix du crime sont avocats ou avocates, enquêteurs ou enquêtrices, proches de victimes, de suspects ou de coupables. Ces témoins-clefs se confient au micro des journalistes de RTL. Des témoignages inédits, qui apportent un éclairage nouveau sur la justice et les grandes affaires criminelles d’aujourd’hui.
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