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Mehdi Ben Barka en 1959 au Maroc. L'opposant politique au roi Hassan II a disparu le 29 octobre 1965, son corps n'a jamais été retrouvé.
Crédit : DSK / AFP FILES / AFP
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À 15 ans, Bachir Ben Barka est en exil en Égypte avec le reste de sa famille quand il apprend la disparition de son père, l'opposant politique marocain Mehdi Ben Barka. Au lendemain de son enlèvement, le 30 octobre 1965, son oncle qui se trouvait à Paris, appelle la famille Ben Barka : Mehdi a été emmené par deux policiers devant la brasserie Lipp, dans le VIᵉ arrondissement de Paris.
"On comprend que les menaces qui pesaient sur mon père venaient de se concrétiser. On n'était pas en exil pour rien", explique le fils du militant disparu. La voix du crime de ce premier épisode sur l'affaire Ben Barka, c'est son propre fils, Bachir. Soixante ans après la disparition de son père, il retrace dans ce premier épisode du podcast Les Voix du crime dédié à l'affaire, les éléments dont il a connaissance : qui a préparé cet enlèvement ? Où a été emmené son père ? Qu'a permis d'élucider le premier procès en 1966 ?
La famille de Mehdi Ben Barka a quitté le Maroc un an avant cette disparition. "Nous avons commencé à sentir les pressions des services de sécurité", décrit Bachir Ben Barka. L'opposant politique au roi Hassan II y était condamné deux fois à mort par contumace : une première fois pour sa prise de position contre la guerre des frontières entre le Maroc et l'Algérie et une seconde pour un complot présumé dans le but de renverser le régime.
Mehdi Ben Barka avait un poids politique considérable au Maroc. "C'était une personne populaire. Sa maison était toujours pleine de visiteurs, aussi bien des responsables politiques que de simples citoyens qui venaient pour le voir, pour le rencontrer, pour prendre son avis.", se souvient Bachir Ben Barka. À partir des années 50, la famille Ben Barka a vécu avec une surveillance policière devant leur maison. Mehdi Ben Barka, lui, était suivi en permanence par la police politique marocaine, décrit son fils.
De figure politique nationale, Mehdi Ben Barka est devenu une figure internationale. Au Caire, il est responsable de l'Organisation de solidarité des peuples afro-asiatiques. Un organisme international qui venait en aide aux mouvements de libération des pays colonisés et aux pays qui souhaitaient gagner leur indépendance. "Il était de bons conseils auprès des présidents", souligne son fils.
Au moment de la disparition de Mehdi Ben Barka, une plainte contre X est déposée pour enlèvement par l'oncle de Bachir Ben Barka. En septembre 1966, un premier procès s'est ouvert. La mère et l'oncle de Mehdi Ben Barka s'y rendent, mais pas Bachir qui avait sa rentrée scolaire. Plusieurs Français étaient accusés d'avoir participé à l'enlèvement de l'opposant politique. Plusieurs Marocains étaient eux suspectés d'avoir participé à l'organisation de la disparition.
Parmi les cinq hommes jugés, il y avait le journaliste Philippe Bernier, un ami du père de Bachir. C'est lui qui a donné rendez-vous à Mehdi Ben Barka le jour de son enlèvement. "On a proposé à mon père d'être le conseiller politique d'un film consacré à la décolonisation. Un film qui devrait être projeté à l'ouverture de la conférence tricontinentale à La Havane en janvier 1966. Bien sûr, le projet a enchanté mon père", retrace Bachir Ben Barka.
Le procès a permis d'éclaircir quelques points sur la préparation de l'enlèvement. Mais le sort de Mehdi Ben Barka dans les heures et les jours qui ont suivi son enlèvement reste méconnu.
Les deux policiers qui ont arrêté Mehdi Ben Barka juste avant son rendez-vous à la brasserie Lipp étaient, eux aussi, sur le banc des accusés. Roger Voitot et Louis Souchon se trouvaient aux côtés d'Antoine Lopez, l'un des agents des services secrets français. Ce dernier était un proche du ministre de l'Intérieur marocain, le général Mohammed Oufkir, avec qui il échangeait des informations stratégiques, dont les préparatifs par les services secrets marocains de l'enlèvement de Mehdi Ben Barka.
Il était clair que c'était un enlèvement politique, seulement pesait sur le procès la chape de la raison d'État
Bachir Ben Barka, fils de Mehdi Ben Barka
"Les services secrets français ne prennent aucune initiative suite à la connaissance d'un projet d'action criminelle en France contre un ressortissant étranger", dénonce Bachir Ben Barka. À l'issue du procès, Antoine Lopez et Louis Souchon sont condamnés à des peines de 6 et 8 ans de prison pour arrestation illégale et plusieurs Marocains, dont Mohamed Oufkir et Larbi Chtouki, ont été condamnés par contumace.
Le procès a pourtant laissé de nombreuses zones d'ombre selon le fils du disparu : "Le procès a été marqué par une phrase qui me revient, qui a été souvent répétée par le président du tribunal, à savoir 'la question ne sera pas posée' (...) Il était clair que c'était un enlèvement politique, seulement pesait sur le procès la chape de la raison d'État".
La mère de Bachir Ben Barka est décédée en 2024. "C'est grâce à elle que le travail, que le combat pour la vérité, mais aussi pour la mémoire, a pu être mené et a pu se poursuivre", relate son fils. Ce dernier a accompagné puis repris le combat de sa mère. Lors de ses études en France, il a déposé une deuxième plainte pour enlèvement, comme la première, mais cette fois en ajoutant "séquestration" et "assassinat". L'instruction pour cette plainte est toujours ouverte aujourd'hui au tribunal judiciaire de Paris.
"Nous en sommes au douzième ou treizième juge, j'ai perdu le compte", ironise Bachir Ben Barka. Il ajoute : "Cela fait 60 ans que le crime a eu lieu, et c'est la plus vieille affaire en instruction toujours au tribunal judiciaire de Paris, toujours non élucidée, et toujours à cause de la raison d'État, les secrets défenses, qui ont été un obstacle permanent, et qui le sont toujours.", déplore Bachir Ben Barka.
Le jour de l'enlèvement de Mehdi Ben Barka, la voiture qui l'emporte se dirige vers Fontenay-le-Vicomte, en banlieue parisienne, à la maison de Georges Boucheseiche. Une figure du grand banditisme qui fuit au Maroc le 1ᵉʳ novembre 1965, sans qu'on puisse le retrouver. À partir de cet instant, la trace de Mehdi Ben Barka disparaît. "On ne sait pas ce qui s'est passé. Il n'y a que plusieurs histoires qui, pour l'instant, n'ont jamais été prouvées et n'ont jamais été démontrées", regrette le fils de l'opposant politique.
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