"Elle savait que son travail était dangereux" : le jour où Dulcie September, militante anti-apartheid, a été assassinée à Paris

En 1984, Dulcie September, 48 ans, native d'Athlone, en Afrique du Sud, pose le pied en France. La militante de l'ANC (Congrès national africain) a été assignée à résidence pour ses actions militantes contre le régime de l'Apartheid. Avant de se rendre en Hexagone, la quadragénaire est passée par le Royaume-Uni. C'est là-bas qu'elle a rejoint l'ANC, le parti politique de Nelson Mandela.

Très vite, Dulcie gravit les échelons et finit par être désignée représentante du parti pour la France, la Suisse et le Luxembourg. François Mitterrand, Président de la République en poste depuis trois ans, lui permet d'ouvrir les bureaux du parti dans la capitale. C'est ainsi que Dulcie s'installe au quatrième étage d'un immeuble situé rue des Petites-Écuries (Xe arrondissement de Paris).

Depuis son nouveau poste, elle continue son combat pour la libération des Noirs sud-africains en France. Un combat qui va continuer pendant quatre ans. Le 29 mars 1988, peu avant 10 heures du matin, Dulcie September s'apprête à rejoindre ses bureaux pour commencer sa journée, mais elle s'effondre sur le palier de la porte : elle est mortellement touchée par balles. "Le scénario était tracé d'avance", affirme Jacqueline Dérens, amie, biographe, et traductrice de Dulcie September, dans Les Voix du crime.

Dulcie avait plusieurs fois dit à ses proches : 'Je suis menacée, je sais que mon bureau est sous écoute'.

Jacqueline Dérens, amie de Dulcie September

Jacqueline, qui ne se trouvait pas sur Paris au moments des faits, se souvient du moment où elle a apprit la terrible nouvelle. "Beaucoup d'amis m'ont appelée. On m'a dit : 'Écoute, il faut absolument que tu reviennes tout de suite à Paris, parce que Dulcie a été assassinée ce matin'", raconte Jacqueline Dérens.

"Je suis donc arrivée aux 28 rue des Petites-Écuries, qui était noire de monde (...). J'ai rencontré des amis militants qui pleuraient, étaient complètement bouleversés par cette affaire. On était extrêmement choqués par cet assassinat, mais nous n'étions pas surpris, parce que Dulcie avait plusieurs fois dit à ses proches : 'Je suis menacée, je sais que mon bureau est sous écoute'", confie-t-elle. Très vite, un scénario se dessine dans la tête de Jacqueline : le régime d'apartheid a missionné quelqu'un pour assassiner son amie Dulcie.

Les obsèques de cette dernière sont commémorés, devant une foule de plusieurs milliers de personnes au cimetière du Père-Lachaise (XXe arrondissement de Paris). Quelques jours avant sa mort, la quadragénaire avait rencontré plusieurs acteurs politiques, et enquêtait sur les violations par la France de l'embargo sur le commerce des armes imposé par l'ONU vis-à-vis de son pays, l'Afrique du Sud.

C'était une femme raisonnable qui savait que son travail était dangereux. Elle était toujours sur le qui-vive.

Jacqueline Dérens, amie de Dulcie September

"Elle ne faisait pas partie de ces révolutionnaires romantiques qui s'embarquent pour des causes. Elle travaillait sur le terrain. C'était une femme raisonnable qui savait que son travail était dangereux. Elle était toujours sur le qui-vive", confie Jacqueline Dérens. Plusieurs pistes liées à l'assassinat de Dulcie September sont envisagées par les policiers français, mais ne mènent à rien.

En 1990, la chute du régime de l'apartheid ségrégationniste est entamée, et plusieurs prisonniers politiques sont libérés. Parmi eux, Nelson Mandela, 71 ans, futur président de l'Afrique du Sud. C'est le début d'un nouvel espoir chez les proches de Dulcie September, qui tentent toujours de mettre la main sur le coupable. En juillet 1992, un non-lieu est pourtant ordonné par la juge d'instruction chargé de l'enquête, faute de suspects identifiés.

Le 10 juin 2025, trente-sept ans après l'assassinat de Dulcie, la justice française a débouté la famille de la victime, en appel, d'une plainte contre l'État pour "déni de justice" et "fautes lourdes". En 2019, la famille de Dulcie September, aidée par plusieurs militants, dont Jacqueline Dérens, avaient porté plainte pour rouvrir l'enquête avec le motif de "crime d'apartheid", qui constitue un crime contre l'humanité, et imprescriptible par la justice.

 >> Les Voix du crime sont avocats ou avocates, enquêteurs ou enquêtrices, proches de victimes, de suspects ou de coupables. Ces témoins-clefs se confient au micro des journalistes de RTL. Des témoignages inédits, qui apportent un éclairage nouveau sur la justice et les grandes affaires criminelles d’aujourd’hui.


Deux fois par mois, l'une de ces Voix du crime nous raconte son point de vue sur une affaire criminelle. Un podcast RTL.

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