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Mehdi Ben Barka annonçant le 9 septembre 1959 à Casablanca la constitution de l'Union Nationale Des Forces Populaires.
Crédit : DSK / PRESSE-AFRICORIENT / AFP
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Depuis le 29 octobre 1965, l'opposant politique au roi Hassan II, Mehdi Ben Barka, est porté disparu. Il a été enlevé par deux policiers devant la brasserie Lipp, dans le VIe arrondissement de Paris, avant d'être acheminé à la villa de Georges Boucheseiche, un ancien collaborateur de la Gestapo. La suite, personne ne la connaît. Les versions s'entremêlent sans qu'aucune ne soit confirmée.
Soixante ans de mystère plus tard, un homme se bat toujours pour savoir où se trouve le corps de son père. Il est la Voix du crime de ce second épisode sur l'affaire. Dans cet épisode, Bachir Ben Barka, le fils du militant enlevé, retrace son parcours pour que l'enquête reste ouverte et que la mémoire de l'homme politique soit entretenue.
Dans le premier épisode, Bachir Ben Barka racontait le moment où il a appris la disparition de son père alors qu'il se trouvait en exil au Caire et le premier procès de l'affaire, en 1966. À l'issue des débats, de hauts gradés marocains, dont le ministre de l'Intérieur Mohamed Oufkir, et Georges Boucheseiche et ses complices, ont été condamnés par contumace. Les policiers qui ont enlevé le militant ont eux écopé de peines de prison. Mais cette première audience n'a pas permis d'aller au-delà des responsabilités individuelles et de déterminer comment s'étaient déroulées les heures qui ont suivi l'enlèvement de Mehdi Ben Barka.
En 1975, Bachir Ben Barka dépose une nouvelle plainte. Il dispose d'éléments récents. Quatre truands ont été enlevés et exécutés dans le PF3, une prison hors cadre juridique dans les environs de Rabat au Maroc. Trois anciens prisonniers, à leur sortie, ont affirmé avoir été les voisins de cellules de truands membres de la bande de Georges Boucheseiche. Ils leur auraient appris que la tête de Mehdi Ben Barka aurait été amenée au Maroc pour être montrée à Hassan II avant d'être enterrée dans la prison PF3. Bachir Ben Barka va livrer ces informations à la justice, qui ne s'en saisira que 24 ans plus tard.
La justice française entame son enquête au Maroc en 1999. Entre la plainte de Bachir Ben Barka en 1975 et le début des investigations en 1999, la justice marocaine n'a jamais répondu aux sollicitations de la France. C'est à la mort du roi Hassan II qu'une commission rogatoire a pu être exécutée "a minima" selon Bachir Ben Barka.
Les fouilles à la prison PF3 ont été bloquées, ainsi que l'audition de responsables sécuritaires marocains, ce qui n'a pas permis de découvrir si la tête de l'homme politique s'y trouvait. En 2007, le juge d'instruction chargé de l'affaire depuis deux ans lance des mandats d'arrêts internationaux à l'encontre de cinq responsables sécuritaires marocains. Mais aucune suite n'est donnée.
Nous sommes surpris que sur les 400 pages saisies (à la DGSE), il y en a seulement 144 qui sont lisibles. Le reste est raturé.
Bachir Ben Barka, fils de l'opposant politique marocain Mehdi Ben Barka
En parallèle de l'enquête judiciaire, la presse mène ses propres investigations. Le journaliste Joseph Tual, ancien reporter à France 3 et maintenant journaliste d'investigation, a pu filmer dans l'enceinte de la prison à haute sécurité marocaine. La disposition des lieux correspond aux témoignages des truands qui ont déclaré que la tête de Mehdi Ben Barka s'y trouve. Plus troublant encore, des photos satellites dépeignent une zone blanche où les orangers n'ont pas pu pousser. "D'après le spécialiste des plantes interrogé, c'est parce que là où on met de la chaux, les arbres ne peuvent pas repousser. Et où est-ce qu'on peut mettre de la chaux ? Précisément sur des fosses communes", explique Bachir Ben Barka. C'est l'une des hypothèses sur la mort de l'opposant politique.
Le secret défense est l'argument le plus fréquemment rétorqué à Bachir Ben Barka lorsqu'il pose des questions et propose des pistes à explorer pour découvrir la vérité sur la disparition de son père. Plus de 30 ans après sa première demande de consultation, 400 documents sont déclassifiés et confiés au juge en charge du dossier en 1982. Ils "ne révèlent rien qui nous aide", déplore Bachir Ben Barka.
Ce n'est qu'en 2010, grâce au juge Ramaël qu'une perquisition est organisée dans les locaux de la DGSE. Le juge souhaite consulter 80 dossiers, tous correspondants à l'un des protagonistes de l'affaire. Après la perquisition en août 2010, le juge ne reçoit que 25 noms, repartis en 400 pages. "Nous sommes surpris que sur les 400 pages saisies, il y en a seulement 144 qui sont lisibles. Le reste est raturé", dénonce Bachir Ben Barka.
Pour Bachir Ben Barka, "il y avait une volonté manifeste d'entraver cette action de consultation des documents. Il y a un document de 26 pages qui était totalement raturé (...) Depuis, nous avons demandé à tous les ministres de la Défense qui se sont succédé de lever le secret défense sur cette partie des documents, sans succès, jusqu'à aujourd'hui. J'ai même écrit au président de la République deux fois dans ce sens. En tant que chef suprême des armées, il a autorité pour faire lever le secret défense. Sa seule réponse a été de nous envoyer notre avocat (actuel)".
En octobre 2024, le fils de Mehdi Ben Barka adresse en vain une lettre ouverte au président de la République Emmanuel Macron et au roi du Maroc Mohamed VI. Il leur demande de faire cesser "les raisons d'État". Bachir Ben Barka ne peut masquer sa colère : sa mère, décédée en juin 2024, n'aura jamais pu connaître la vérité sur la disparition de son mari.
"Les responsabilités politiques sont connues. Les protagonistes sont connus. (...) Il y a encore quelques points d'ombre par rapport aux responsabilités françaises. Mais 60 ans se sont passés. Les éventuels responsables ou les éventuelles personnes qui auraient pu être au courant ou qui ont su la vérité et qui n'ont rien dit ou qui n'ont pas pu empêcher le crime sont la plupart décédés. Donc, la seule chose qui reste à découvrir, ce sont les circonstances exactes de la mort, de l'assassinat de mon père et le lieu de sa sépulture. Nous sommes une famille, nous n'avons pas de tombe sur laquelle aller nous recueillir", regrette Bachir Ben Barka.
J'ai 75 ans. Je ne souhaite pas que ce soit les petits-enfants de Mehdi qui ensuite reprennent le flambeau pour la vérité.
Bachir Ben Barka, fils de l'opposant politique marocain Mehdi Ben Barka
Une nouvelle juge a été nommée en 2024 pour se charger de l'affaire. Après plus d'une dizaine de nominations, Bachir Ben Barka croit au travail de la justice, mais il commence à être las : "J'ai 75 ans. Je ne souhaite pas que ce soit les petits-enfants de Mehdi qui reprennent le flambeau pour la vérité". Il ajoute : "Ce serait une honte pour les deux régimes marocains et français, que ce soit deux générations qui soient obligées de se battre pour connaître la vérité sur un crime d'État, sur un crime d'une personnalité qui a joué un rôle important dans l'histoire du Maroc".
Aujourd'hui, bien que le fils de l'opposant politique ne privilégie "aucune version" des faits, il poursuit son combat parce que "la volonté est toujours là et ce n'est pas aujourd'hui que l'on va s'arrêter".
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