Ce matin on s'intéresse à une peur : celle du grand embouteillage dans les salles de cinéma. En feuilletant les pages du Monde, on peut se faire une réflexion : si la crise sanitaire était un bateau, ce serait un gigantesque porte-conteneur qui se serait malencontreusement mis en travers d'un canal de Suez, trop étroit pour lui.
En effet, cela fait maintenant plus d'un an que les professionnels du cinéma le regardent, impuissants, tentent sans succès, de débloquer le passage, sauf que, comme pour le Canal de Suez, la sortie des films dans les salles est d'habitude réglée comme du papier à musique. Même si les productions ont été moins nombreuses l'an dernier, l'entonnoir est quand même bien rempli : plus de 400 films attendent de faire sauter le bouchon. De plus, les distributeurs craignent que ces oeuvres finissent complètement noyées dans la masse.
"On craint un massacre" prévient Jean Labadie, de la société de distribution Le Pacte. Les films d'art et d'essai, notamment, ont peur que les blockbusters américains envahissent les écrans, à la réouverture des cinémas, ne laissant ainsi que des miettes aux petits films d'auteur. "Il faut absolument éviter de se cannibaliser", affirme de son côté Éric Lagesse, PDG de Pyramide Distribution.
Ce n'est donc pas sûr que les producteurs puissent récupérer leurs mises, d'autant plus que la réouverture des salles de cinéma risque de se faire en trois étapes, avec d'abord une jauge de 35% des places pendant 4 semaines, puis 50% pendant un mois, et enfin un retour à la normale souhaité pour juillet. Le maintien des couvre-feux pourrait également amputer les recettes des deux séances du soir.
Une reprise progressive qui pourrait, a contrario, permettre au cinéma d'auteur de tirer son épingle du jeu, estime Le Monde. Les films à gros budget ne se risqueront pas à être diffusés devant des salles à moitié vides. Le nouvel OSS 117, par exemple, a repoussé sa sortie au 4 août prochain. Les studios hollywoodiens préfèrent garder leurs plus grosses cartouches, avant de dégainer. Chez Disney, Black Widow est prévu pour le 9 juillet, Universal Pictures a repoussé la sortie du nouveau James Bond au mois d'octobre, enfin, Les Minions 2 pourraient sortir l'année prochaine.
Pour écluser une partie de leur stock, certains pourraient être tentés de se passer des salles de cinéma pour vendre leurs films directement aux plateformes ou aux télévisions. Toutefois, ils sont encore peu nombreux à avoir sauté le pas. Amazon Prime Video a acheté Pinocchio, de Matteo Garrone, Netflix a acquis les droits de Madame Claude, de Sylvie Verheyde.
"Les plateformes n'ont pas envie d'acheter des films d'auteur", assure la productrice Carole Scotta. Surtout que si les films ne passent pas par la case cinéma, les distributeurs pourraient être contraints de rembourser le crédit d'impôt et les aides qui leur sont accordées. À ce sujet, le Centre national du Cinéma proposera une dérogation dans les prochains jours, pour que ces aides soient finalement considérées comme des dons.
La fermeture des salles pourrait également avoir des effets pervers. Canal + a acheté le dernier film de Maïwenn : ADN, sorti au mois d'octobre. Si l'on respecte la chronologie, la chaine payante pourrait commencer à le diffuser à ses abonnés dès le mois de juin. Toutefois, il est resté à l'affiche seulement deux petits jours, et son distributeur espère bien le diffuser à nouveau dans les salles, à leur réouverture. Difficile d'imaginer qu'il soit en même temps à la télévision et au cinéma.
Tout va donc devoir se négocier pour que les spectateurs puissent enfin retrouver leurs cinémas, et que le cinéma survive à la crise sans trop y laisser des plumes. C'est à lire ce matin dans les colonnes du Monde.