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"Le best friend ever de Gianni Infantino" : comment Donald Trump utilise la Coupe du monde 2026 pour ses intérêts politiques

Omniprésent sur les sujets liés à la Coupe du monde, le président américain et désormais grand ami du patron de la Fifa assistera au tirage au sort du tournoi à Washington, ce vendredi 5 décembre.

Le président américain Donald Trump avec le trophée de la Coupe du monde et le patron de la Fifa Gianni Infantino dans le bureau ovale, le 22 août 2025.

Crédit : ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP

Gabriel Joly

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Aux premières loges, selon sa volonté. Donald Trump va assister en personne au tirage au sort de la Coupe du monde 2026, programmé ce vendredi 5 décembre au Kennedy Center de Washington - et diffusé en direct à 18 heures sur M6. Dans un lieu culturel que le président américain souhaite rebaptiser à son nom, sa présence apparaît comme logique au vu de son implication invasive sur l'organisation du Mondial, que les États-Unis co-accueilleront avec le Mexique et le Canada l'été prochain (11 juin-19 juillet).

En contraste, la délégation iranienne a réfléchi à boycotter la cérémonie en dépit de la qualification de son équipe nationale, avant de se raviser. Comme pour Haïti, l'administration Trump a fait savoir que seuls les joueurs, leur famille proche et l'entourage de la sélection de la République islamique seront autorisés à séjourner sur le territoire américain durant le tournoi, les fans étant interdits d'y entrer par la loi

Pour Joseph Cooper, professeur en sociologie du sport à l'université UMass Boston, c'est une nouvelle preuve que "le sport est un avant-poste idéologique pour que les acteurs politiques fassent avancer leur propre agenda". "Ils se servent de ce divertissement pour créer une association positive avec leurs régimes, comme une subterfuge. On a souvent décrit le sport d'opium du peuple, car il sert à détourner l'attention et derrière, promouvoir le nationalisme, le patriotisme et dans certains cas le militarisme", ajoute-t-il, témoignant dans le même temps d'un "enthousiasme général et une fierté collective" des Américains en amont de cet événement.

"Une plateforme pour amplifier son message"

"Trump se moque complètement des images internationales", estime de son côté Jean-Baptiste Guégan, expert en géopolitique du sport. "Chaque événement qu'il récupère est d'abord l'occasion de mobiliser ceux qui composent sa base, de vivifier leur adhésion."

On est dans une logique qui vise à hyper-personnaliser cette Coupe du monde du point de vue politique, c'est clairement un outil de gouvernance.

Jean-Baptiste Guégan, auteur de "Géopolitique du sport : une autre explication du monde"

Cet été déjà, celui qui proposait de rebaptiser définitivement le soccer en "football" outre-Atlantique s'était signalé lors de la Coupe du monde des clubs, s'incrustant sur les photos de célébrations des joueurs de Chelsea après leur titre remporté contre le PSG en finale (3-0). "Comme s'il cherchait à attirer l'attention pour rester dans l'actualité", estime Joseph Cooper. "Le football étant le sport le plus populaire au monde, Trump l'utilise aussi stratégiquement comme une plateforme pour amplifier son message."

Donald Trump remet le trophée de la Coupe du monde des clubs aux joueurs de Chelsea, le 13 juillet 2025 au MetLife Stadium.

Crédit : Mostafa Bassim / ANADOLU / Anadolu via AFP

Quelques jours plus tôt, le dirigeant avait déjà fait parler en profitant de la venue d'une délégation de la Juventus Turin dans le bureau ovale pour distillerson discours contre les personnes transgenres dans le sport, sous les yeux des joueurs médusés.

"Est-ce qu'une femme pourrait jouer dans votre équipe ?", avait insisté le président en se tournant vers le milieu américain Weston McKennie. Et de répondre, malgré le malaise palpable : "Elles devraient jouer uniquement avec des femmes", quand le directeur sportif français Damien Comolli tentait de botter en touche en rappelant que la section féminine du club était performante.

Trump et Infantino, "une logique de courtisans"

Dans la même veine, le républicain - à l'origine d'un groupe de travail gouvernemental sur le Mondial - est allé jusqu'à mettre la pression sur ses opposants, assurant qu'il pourrait retirer l'organisation aux villes tenues par des maires démocrates, comme Los Angeles ou Seattle : "Si nous pensons qu’il y a le moindre signe de problème, je demanderais à Gianni (Infantino) de déplacer les matchs", disait-il mi-novembre, faisant allusion au patron italo-suisse de la Fifa. 

Permissif face aux outrances, celui-ci se contente régulièrement de rétorquer que la sécurité était "une priorité absolue". La relation amicale entre les deux hommes est d'ailleurs l'une des clés pour comprendre la récente omnipotence de Donald Trump sur les questions liées au ballon rond. "Ils ont besoin l'un de l'autre parce que chacun y trouve son intérêt", analyse Kévin Veyssière, également spécialiste de la géopolitique du sport.

"Quand Trump cherche une caisse de résonance pour ses politiques, Infantino veut être aux côtés des puissants pour renforcer son image, d'autant qu'il a la même conception du pouvoir que le président américain", estime le fondateur du FC Geopolitics. En l'occurrence, "assez autoritaire et basée sur des liens virilistes entre influents".

Il a besoin de "l'assentiment des grands pour rester à son poste", résume Jean-Baptiste Guégan. Mais pas que : d'après lui, les deux sont devenus "des best friends ever" car le successeur de Sepp Blatter a "réaligné la Fifa pour cibler un futur marché en expansion aux États-Unis, avec une Coupe du Monde qui va lui rapporter toujours plus d'argent à 48 équipes sur trois pays".

Autant de raisons pour Gianni Infantino de ne pas intervenir face son interlocuteur privilégié, prônant l'apolitisme de son instance comme à chaque fois que la situation le requiert. Voire de verser dans "une logique de courtisans" : "Je pense que nous devrions tous soutenir ce que (Trump) fait", a-t-il salué début novembre au Forum américain des affaires à Miami. Une sortie dénoncée comme une "violation flagrante du devoir de neutralité politique imposé à tout responsable de la Fifa", par Miguel Maduro, ancien président du comité de gouvernance de l'organe international régissant le football.

Pressions publiques sur l'attribution du Mondial

Fort de ce blanc-seing total, Donald Trump ne fait en réalité que récolter les fruits de son travail passé, comme il le fera probablement pour les Jeux olympiques 2028 à Los Angeles.

Si ses vives oppositions à des athlètes engagés tel le joueur de football américain Colin Kaepernick - insulté de "fils de p*te" car agenouillé pendant l'hymne national pour protester contre le racisme - ou la Ballon d'or 2019 Megan Rapinoe aux discours féministes et pro-LGBT ont surtout marqué son premier mandat, le magnat avait ouvertement pesé sur l'attribution du Mondial 2026.

"Ce serait dommage que des pays que nous soutenons toujours fassent du lobbying contre la candidature américaine. Pourquoi devrions-nous soutenir ces pays s'il ne nous soutiennent pas (y compris aux Nations unies) ?", avait-il posté sur X il y a sept ans, peu avant le vote pour départager le trio nord-américain et le Maroc dans la course à l'organisation.

"C'était un tweet dévastateur qui avait clairement menacé ceux qui ne voterait pas pour les États-Unis de représailles", pointe Jean-Baptiste Guégan. "D'ailleurs, à l'époque, on était plutôt dans une logique de coopération avec le Mexique et le Canada, ce qui n'est plus forcément le cas aujourd'hui", note Kévin Veyssière. Il est vrai qu'on en oublierait presque que Vancouver, Toronto, Mexico, Guadalajara et Monterrey recevront aussi des rencontres, tant Donald Trump occupe l'espace médiatique.

Le prix de la paix de la Fifa en mondovision ?

Mais le populiste en fait-il plus que d'autres dirigeants dans sa situation avant lui ? "Son omniprésence sur tous les sujets est d'abord lié à un tropisme personnel, qui dépasse de très loin l'égotisme habituel. Il est profondément et psychologiquement autocentré. Ajoutez à cela qu'il a joué dans sa jeunesse au football...", répond Jean-Baptiste Guégan, en référence à l'expérience de milieu de terrain du chef d'État dans l’équipe de son école militaire new-yorkaise, à l'âge de 16 ans.

Il veut s'associer à tout (ce qui concerne le Mondial), comme un enfant qui dirait : 'Je veux garder le trophée dans le bureau'. C'est une première chez les présidents américains, généralement beaucoup plus en retrait.

Jean-Baptiste Guégan, auteur de "Géopolitique du sport : une autre explication du monde"

Une tendance à l'hypercommunication de l'homme d'affaires à relativiser, dans la mesure où les réseaux sociaux n'existaient par exemple pas en 1994, lorsque les Américains avaient déjà accueilli la "World Cup" sous Bill Clinton. "Je ne pense pas qu'il en fasse plus que Ronald Reagan ou Richard Nixon, mais c'est un personnage tellement polarisé que tout ce qu'il dit fait la une des journaux", remarque de son côté Joseph Cooper, de l'UMass Boston.

Toujours est-il que Donald Trump, qui a notamment invité la star portugaise Cristiano Ronaldo après avoir été snobé pour le Nobel de la paix (non sans une intense campagne médiatique), devrait recevoir vendredi le prix de la paix de la Fifa, créé pour l'occasion, durant une cérémonie grandiose animée, entre autres, par Andrea Bocelli, les Village People et Robbie Williams.

Une manière de prendre sa revanche en mondovision pour celui que Gianni Infantino avait accompagné au Sommet pour la paix à Gaza de Charm-el-Cheikh, en octobre. Et ce, sur le dos de la Coupe du monde.

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