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Enlèvements liés aux cryptomonnaies : les mythes d’argent facile qui attirent les ravisseurs

Alors que les attaques se multiplient, les acteurs du secteur s’inquiètent de la persistance de fantasmes autour de leur richesse et de l’accès à leurs actifs, qui attisent la convoitise et les exposent aux tentatives d’extorsion.

Près de 10% des Français possèdent des cryptomonnaies en 2025

Crédit : AFP

Benjamin Hue

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La tentative d'enlèvement violente survenue mardi 13 mai en plein Paris, visant la famille du patron de la plateforme de cryptomonnaies Paymium, s'inscrit dans une série d'incidents que les autorités prennent désormais très au sérieux. Une nouvelle réalité s'impose pour les acteurs de ce secteur : les entrepreneurs en crypto, mais aussi leurs proches, sont une nouvelle cible privilégiée du banditisme. Au moins sept enlèvements ou tentatives de rapt visant des professionnels des cryptos ont été enregistrés en France depuis l'année passée, dont six depuis le 1er janvier. Des représentants de l'industrie sont reçus vendredi à Beauvau par le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau pour "travailler à leur sécurité".


Cette nouvelle affaire a vivement ébranlé l'écosystème. L'entreprise Paymium, directement visée mardi, a dénoncé sur X "les fausses idées fréquemment disséminées, entre richesses supposées et fantasmes criminels, qui participent malheureusement à alimenter la désinformation dans un climat délétère". Un sentiment largement partagé par les acteurs de la communauté, inquiets de voir ces stéréotypes attiser la convoitise des malfaiteurs et favoriser une recrudescence des enlèvements ciblés. "Halte à la mexicanisation de la France", a dénoncé sur X le cofondateur de Ledger Eric Larchevêque, figure de l'émission "Qui veut être mon associé ?" sur M6, estimant que "réussir en France aujourd'hui, que ce soit dans les cryptoactifs ou ailleurs, c'est se coller une cible dans le dos".

La première idée reçue porte sur la liquidité présumée de ces actifs. Le fait que les cryptomonnaies évoluent en dehors du circuit bancaire classique renforce cette image d’un argent facilement accessible, sans intermédiaires ni blocages, et alimente l’idée qu’il serait plus rentable d’extorquer un entrepreneur crypto qu’un chef d’entreprise traditionnel. "On imagine qu’un détenteur de cryptos peut transférer des millions d’euros à l’autre bout du monde en quelques secondes et sans contrôle", explique à RTL Grégory Raymond, journaliste spécialisé dans les cryptoactifs, auteur du livre Bitcoin-Cryptos, l’enjeu du siècle (Talents, 2025), et fondateur du média The Big Whale

Des actifs beaucoup plus protégés et pas aussi faciles à blanchir qu'il n'y paraît

Dans les faits pourtant, les investisseurs les plus fortunés n’ont pas attendu les récents enlèvements pour se protéger. "Dans la plupart des cas, les montants importants sont stockés via des systèmes complexes de sécurité, avec des "cold wallets" physiques (des dispositifs de stockage hors-ligne, Ndlr), des multisignatures, des délais de récupération, voire une garde professionnelle chez des acteurs spécialisés qui fonctionnent de la même façon que des banques", souligne le spécialiste. Dans ces situations, récupérer les codes d'un portefeuille crypto ne suffit pas pour transférer des fonds : il faut plusieurs validations, réparties entre plusieurs personnes et différents dispositifs, sur plusieurs jours. Tout est pensé pour résister à une tentative d'extorsion. "Tout cela prend un temps fou à contourner et les criminels n’ont heureusement pas ce luxe", insiste l'expert.

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La deuxième illusion concerne l’anonymat. Les cryptomonnaies sont régulièrement perçues comme intraçables, ce qui en ferait un moyen idéal de rançon. Mais cette réputation est largement infondée. "La plupart des blockchains sont pseudonymes et totalement transparentes. Chaque transaction est enregistrée publiquement et peut être suivie à la trace sur plusieurs années. C’est comme une puce GPS financière. Des sociétés comme Chainalysis ont bâti leur modèle économique sur l’analyse de ces flux. Les forces de l’ordre s’en servent aujourd’hui pour remonter des enquêtes complexes avec une efficacité redoutable. Ce niveau de traçabilité n’a pas d’équivalent dans la finance traditionnelle", résume Grégory Raymond. 

Et lorsque des adresses suspectes sont repérées, les plateformes d'échanges de cryptomonnaies peuvent être alertées rapidement pour geler les fonds. "Ce mécanisme repose sur une collaboration étroite entre les enquêteurs, les entreprises spécialisées dans l’analyse on-chain et les exchanges. Ce n’est pas instantané, mais quand l’alerte est donnée à temps, cela fonctionne. Et plus l’écosystème se professionnalise, plus ces dispositifs deviennent réactifs", observe Grégory Raymond. Fin janvier, l'enlèvement du fondateur de Ledger, David Balland, a fourni un cas d'école de ce mécanisme. Une partie de la rançon a été versée dans le cadre des négociations avec les forces de l'ordre, mais les criminels n'ont jamais pu accéder aux fonds qui ont été saisis et gelés.

Les cibles des enlèvements ne sont pas forcément les plus exposées

Une autre explication tient à la médiatisation du secteur et la montée des cours, alors que le Bitcoin, la première cryptomonnaie, n’en finit plus de battre des records, et tutoie les 100.000 dollars depuis le début de l’année. "Quand on parle de cryptomonnaies dans les médias, c'est toujours abordé sous le prisme financier, pour dire que Bitcoin monte ou redescend. Cela nourrit une forme de fantasme selon lequel les gens qui évoluent dans le secteur sont des chercheurs d'or qui ont flairé un filon et fait fortune. Toute personne qui est liée de près ou de loin au sujet est perçue comme ultra-riche", déplore Alexandre Stachtchenko, directeur de la stratégie chez Paymium, lui-même visé par une usurpation d'identité l'an passé afin de lui soutirer des fonds.

"Ces fantasmes nourrissent l’idée qu’il s’agit d’un butin facile, là où la réalité est bien plus complexe, encadrée et souvent défavorable aux criminels", abonde Grégory Raymond. Ils sont d’autant plus dangereux que certains dirigeants et représentants du secteur sont faciles à repérer sur les réseaux sociaux ou dans les médias. En 2022, l'influenceur Owen Simonin, alias Hasheur, suivi par plus de 700.000 abonnés sur YouTube, a été agressé à son domicile. Depuis, il a déménagé dans un lieu tenu secret et se fait accompagner par un professionnel de la sécurité lors de ses interventions publiques. 

Mais même les acteurs plus discrets de l'écosystème ne sont pas forcément à l'abri. Leurs coordonnées peuvent être rendues accessibles dans des fuites de données, comme cela a pu être observé lors de l'affaire Ledger en 2020, ou être disponibles via les registres légaux, où sont publiés les statuts d'entreprise. Pour limiter les risques, le cofondateur de Ledger Eric Larchevêque a appelé sur X les entrepreneurs du secteur à privilégier une domiciliation professionnelle dès la création de leur société afin de ne pas exposer leur domicile. Il recommande également à ceux qui auraient déjà déclaré leur adresse personnelle comme siège social à saisir le greffe du tribunal de commerce pour demander à la masquer, en invoquant des raisons de sécurité.

Des fichiers sensibles, cible idéale pour les cybercriminels

Les professionnels du secteur pointent aussi le rôle paradoxal joué par la régulation dans l'exposition des investisseurs en cryptomonnaies. Des textes comme la réglementation européenne Travel Rule (TFR), conçus pour lutter contre le blanchiment d'argent, imposent aux plateformes d'échanges enregistrées en Europe de collecter un volume croissant de données sensibles. Ces informations regroupent à la fois les documents d'identité, l'adresse du domicile ainsi que les adresses des portefeuilles crypto utilisés. En cas de fuite, ces fichiers deviennent des outils redoutables pour les criminels, leur permettant d'identifier les gros détenteurs et de localiser leur domicile. "On sait où vous trouver et combien vous possédez, de quoi faire le crime parfait", expliquait récemment Renaud Lifchitz, expert en cybersécurité, à RTL. 

Cette concentration de données suscite d'autant plus d'inquiétude que plusieurs grandes plateformes ont déjà été la cible de fuites massives. Jeudi 15 mai, la principale place de marché Coinbase, l'une des plus importantes au monde, a révélé avoir subi un piratage ayant entraîné la perte de près de 400 millions de dollars de ses clients. L'attaque a également permis aux criminels d'accéder à des informations personnelles telles que les noms, adresses et documents d'identité enregistrés sur la plateforme. Selon les premiers éléments, les hackers auraient corrompu un groupe d'agents du service clients pour mener leur opération. 

Pour les experts du secteur, la loi française récemment adoptée sur le narcotrafic aggrave encore la situation en interdisant les dispositifs d'anonymisation  comme les mixeurs ou les adresses multiples, et en assimilant le recours à ces outils protégeant la confidentialité des transactions à une suspicion de blanchiment. "Il y a quasiment une fuite de données par jour, nos informations sont déjà dehors. Ce n'est pas compatible d'avoir d'un côté une injonction du Comité européen pour la protection des données qui dit que les bonnes pratiques pour préserver les libertés fondamentales et la sécurité, c'est de favoriser l'anonymisation, et de l'autre, une réglementation anti-blanchiment qui dit que si vous faites ça, vous êtes présumé coupable", déplore Alexandre Stachtchenko. 

Dans ce contexte, la plateforme Paymium a réclamé mardi un moratoire sur les textes en vigueur afin de revoir les équilibres entre régulation, sécurité et protection de la vie privée dans un secteur très exposé. Reste à savoir si le ministre de l'Intérieur y sera sensible, lui qui s'est récemment opposé à la confidentialité des communications en défendant un amendement prévoyant un accès privilégié au contenu des messageries chiffrées pour les forces de l'ordre lors de l'examen de la loi narcotrafic.

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