Donald Trump n'a pas attendu son investiture à la Maison Blanche pour prendre le monde de court. Dans la nuit de vendredi à samedi 18 janvier, le président élu a annoncé à la surprise générale le lancement d'une cryptomonnaie à son effigie, le $Trump ou "Official Trump". L'opération a déclenché une fièvre d'achats qui a fait exploser en quelques heures sa valorisation globale. Elle a aussi poussé les observateurs à s'interroger sur la légitimité du projet, promu par l'entourage du milliardaire pour tirer profit de son pouvoir et de sa renommée, et de ce que cela peut augurer de la gouvernance de sa nouvelle administration durant ce second mandat.
Peu après 21 heures, vendredi, en plein Crypto Ball, le gala des investisseurs en cryptomonnaies donné en l'honneur de Donald Trump, le futur président a officialisé lui-même la monnaie virtuelle en publiant des messages sur les réseaux sociaux X et Truth Social, entre deux nominations à des postes clés de sa nouvelle administration.
"Fight fight fight ! Il est temps de célébrer tout ce que nous représentons, la victoire ! Rejoignez ma communauté Trump très spéciale. Obtenez votre "Trump coin" maintenant. L'histoire est en marche", a lancé le milliardaire, qui n'a apporté aucun commentaire sur le sujet depuis le lancement de l'opération.
Le $Trump, symbolisé par une image de Donald Trump le poing serré, est ce qu'on appelle un "mème coin", une cryptomonnaie vouée à capitaliser sur l'engouement populaire autour d'une personnalité, d'un mouvement ou d'un phénomène viral sur internet. Contrairement aux cryptomonnaies traditionnelles, comme le Bitcoin, qui permet d'effectuer des paiements et fait office de réserve de valeur, ou Ethereum, qui sert de base à la création d'applications décentralisées, les "memes coins" n'ont pas d'utilité économique ou transactionnelle. Ils sont considérés comme des actifs purement spéculatifs mais font partie intégrante du marché crypto. Le plus célèbre était jusqu'ici le Dogecoin, la crypto inspirée du mème du "Doge", qui met en scène un Shibu Inu et a été popularisée par Elon Musk ces dernières années.
L'annonce a d'abord fait craindre une arnaque, comme le monde des cryptomonnaies en a connu beaucoup ces dernières années. Mais les doutes ont rapidement été levés à la lumière de l'authenticité des messages publiés sur les comptes officiels du nouveau président américain et de la structure à l'origine de la vente. Derrière le projet se trouve CIC Digital LLC, une filiale de la Trump Organization qui gère les intérêts de la famille Trump et vend déjà toute une gamme de produits dérivés. Cette entité a déjà été utilisée par pour vendre des NFT (des actifs numériques non fongibles) au nom du milliardaire par le passé.
Vite rassuré, le marché ne s'est pas fait prier pour s'emballer. Avides de gains spectaculaires dans le contexte de l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, les spéculateurs se sont rués sur cet actif. Les investisseurs particuliers aussi, attirés par les histoires de millionnaires du jour au lendemain et la possibilité d'acquérir le mème coin à la faveur d'une simple transaction bancaire, via des applications dédiées, alors qu'il n'était pas encore listé sur les principales plateformes d'échanges de cryptomonnaies mondiales, comme Binance ou Coinbase.
Vendu 10 dollars, le $Trump s'est envolé, dépassant les 75 dollars dimanche matin, quelques heures seulement après son introduction, et s'imposant du même coup parmi les 20 plus grosses cryptomonnaies actuelles. Sa valorisation a battu des records, 12 milliards de dollars au plus haut, aspirant au passage une bonne partie des liquidités du marché des cryptomonnaies. L'euphorie est retombée dimanche soir quand l'entourage de Donald Trump a vu double et lancé un nouveau mème coin, $MELANIA, à l'image de la première dame Melania Trump, cette fois. L'initiative a fait nettement diminuer la valeur de celle de son époux, ramené à une quarantaine de dollars environ, avant de se rétablir autour de 50 dollars ce lundi.
Avec le lancement du $Trump, le 47e président des Etats-Unis se pose déjà comme l'un des principaux acteurs du monde des cryptomonnaies. Initialement opposé à ce marché, qu'il avait qualifié d'escroquerie durant son premier mandat, le candidat républicain a opéré un revirement spectaculaire pendant sa seconde campagne, en partie financée par le secteur. Trump entend désormais placer l'industrie des cryptos au coeur de son administration, dès le début de son nouveau mandat, avec notamment un projet de constitution d'une réserve nationale stratégique en Bitcoin et la perspective d'un allègement de la régulation. Ce contexte favorable a galvanisé le Bitcoin, qui a établi un nouveau record à plus de 109.000 dollars quelques heures avant l'arrivée au pouvoir du milliardaire ce lundi.
Le lancement du $Trump soulève toutefois de vives inquiétudes sur les plans éthique et réglementaire. De nombreux acteurs du secteur des cryptomonnaies ont ainsi mis en garde contre un acte prédateur qui place les petits investisseurs en première ligne. Un certain nombre de doutes entourent encore la conception du projet. La distribution des jetons du $Trump pose question, notamment. Le site du projet indique que 200 millions d'unités de la devise numérique ont été mises sur le marché, soit 20% de l'offre disponible à terme. Une rareté qui a contribué à l'emballement. Mais la société qui pilote le lancement prévoit d'en ajouter 800 millions supplémentaires dans les années à venir. Ces 80% restants sont encore entre les mains de ses créateurs. Cette dilution laisse présager une forte pression vendeuse à l'avenir.
L'un des risques serait que les principaux détenteurs du $Trump décident de vendre brutalement leur allocation, laissant les derniers arrivés compter leurs pertes à mesure que le prix s'effondre. Des dizaines, voire des centaines de milliers d'investisseurs particuliers, attirés par les perspectives de gains et rassurés par la figure de Donald Trump, sont particulièrement exposés. D'après le média spécialisé CoinDesk, les personnes qui ont acheté la monnaie virtuelle dimanche étaient déjà perdants de près de 30% ce lundi 20 janvier. Des analyses des transactions, inscrites sur le registre immuable de la blockchain Solana, le protocole cryptographique auquel le $Trump est adossé, montrent que l'équipe qui gère le fond a déjà retiré pour plus de 500 millions de dollars de liquidités qui ont été réinvesties dans d'autres cryptomonnaies. Le clan Trump aurait aussi empoché plusieurs dizaines de millions de dollars à la faveur des frais de transaction.
"Les personnalités publiques, particulièrement celles qui ont une telle influence politique, devraient-elles exercer ce genre d'influence sur les marchés spéculatifs ? C'est une question que les régulateurs ne sont pas susceptibles d'ignorer", a déclaré à Reuters, Justin D'Anethan, un analyste crypto indépendant. Aux Etats-Unis, les cryptomonnaies sont réglementées par la Sécurities and Exchange Commission, la SEC. Mais la législation est moins contraignante que dans l'Union européenne. Le gendarme financier n'avait pas sanctionné Elon Musk lorsqu'il manipulait les cours du Dogecoin sur Twitter par le passé, par exemple. Et Donald Trump a d'ores et déjà indiqué qu'il avait l'intention de nommer un défenseur des cryptomonnaies au poste de président de l'instance.
Des observateurs ont par ailleurs déploré une tentative sans précédent de faire fructifier la fonction présidentielle. Pour eux, Donald Trump a ouvert une boîte de pandore qui brouille les frontières entre gouvernance, profit et influence. "C’est littéralement une façon de tirer profit de la présidence, en créant un instrument financier qui permet aux gens de transférer de l’argent à la famille du président en lien avec sa fonction", a déclaré au New York Times Adav Noti, directeur exécutif de Campaign Legal Center, un groupe d’éthique à but non lucratif. Pour le quotidien américain, c'est "un signe supplémentaire que la famille Trump sera beaucoup moins hésitante à contourner ou transgresser les limites éthiques traditionnelles au cours de ce second mandat".
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