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"On sait où vous trouver et combien vous possédez" : pourquoi les kidnappings crypto se multiplient

Les détenteurs de cryptomonnaies sont de plus en plus pris pour cibles, en France comme à l’étranger, avec déjà 21 attaques recensées depuis le 1er janvier. Un phénomène alimenté par la médiatisation du secteur, la montée des cours et des idées reçues sur la liquidité des actifs. Des experts redoutent aussi les effets combinés des fuites de données de plus en plus fréquentes et des obligations imposées par les nouvelles législations sur le secteur, qui favorisent la concentration d'informations sensibles.

Cinq enlèvements d'entrepreneurs cryptos ont eu lieu en France depuis fin 2023

Crédit : AFP

Benjamin Hue

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Pour vivre heureux, vivons caché. L'adage n'a jamais été aussi actuel pour les propriétaires de cryptomonnaies, de plus en plus nombreux en France. Selon les dernières estimations de l'Association du développement des actifs numériques (Adan), ils seraient près de 6 millions à posséder des actifs numériques dans l'Hexagone. Mais la démocratisation du secteur charrie aussi un phénomène inquiétant, l'explosion des agressions physiques ciblant les investisseurs, entrepreneurs et influenceurs de cette industrie. 

Trois mois et demi après l'enlèvement très médiatisé de David Balland, cofondateur de la société Ledger, spécialisée dans la sécurisation des portefeuilles de cryptomonnaies, une nouvelle affaire de rapt avec demande de rançon est venue ébranler l'écosystème ce weekend. Le père d'un homme ayant fait fortune dans les cryptomonnaies a été enlevé en pleine journée dans le 14e arrondissement de Paris jeudi 1er mai, avant d'être retrouvé samedi avec un doigt sectionné.

Les agressions visant des professionnels des cryptos se sont multipliées ces derniers mois. Depuis le 1er janvier, 21 attaques physiques liées au secteur ont été recensées à travers le monde, selon une base de données publique dédiée. C'est presque autant que les 22 incidents enregistrés sur l'ensemble de l'année 2024, elle-même en forte hausse par rapport à 2023. La France, en particulier, apparaît comme l'un des foyers de cette montée des violences. Cinq enlèvements ont eu lieu sur le territoire depuis 2023, dont quatre en moins de cinq mois, depuis décembre dernier.

La cible idéale, sur le papier

Ces violences soulignent une nouvelle réalité pour les détenteurs de cryptomonnaies qui constituent désormais une cible privilégiée pour les criminels avides d'argent facile, au même titre que les bijouteries ou les propriétés de célébrités. La nature même de ces actifs les rend particulièrement attractifs pour des malfaiteurs. Transférables instantanément, sans le filtre d'un établissement bancaire, réputées difficiles à tracer, lorsqu'elles sont mêlées à des dispositifs d'anonymisation ou envoyées sur des portefeuilles froids, les cryptomonnaies cochent toutes les cases de la proie idéale pour une rançon rapide sur le papier. Et les chefs d'entreprise du secteur sont faciles à identifier par les criminels, via les réseaux sociaux, les médias ou des sources ouvertes, comme les registres de commerce et les dépôts statutaires.

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Interrogé à ce sujet après le rapt de David Balland fin janvier, Alexandre Stachtchenko, expert crypto et directeur de la stratégie de la plateforme Paymium, déplorait l'influence du récit dominant qui s'est imposé dans la couverture médiatique du secteur. "Quand on parle de crypto, c'est pour parler de casino et de riches, ça contribue à mettre une cible sur la tête. Ils viennent kidnapper et séquestrer pour obtenir de l'argent de personnes qu'ils pensent richissimes", expliquait le spécialiste, lui-même victime d'une usurpation d'identité il y a quelques mois dans le but de lui soutirer des fonds.

Pourtant, les détenteurs les plus fortunés naviguent rarement sans filet. Beaucoup ont mis en place des systèmes de sécurité sophistiqués, comme des portefeuilles multi-signatures, qui nécessitent plusieurs appareils physiques conservés à des endroits différents pour autoriser un transfert, des délais de validation de plusieurs jours et des cloisonnements physiques et numériques. Des techniques qui peuvent retarder voire empêcher la libération des fonds, quand ces derniers ne sont pas tout simplement gelés par les plateformes sur demande des autorités. 

"Possible de relier le montant de vos portefeuilles cryptos à votre adresse physique"

Le contexte économique et réglementaire n'aide pas à apaiser les tensions. Avec un Bitcoin stabilisé sous les 100.000 dollars et les perspectives de croissance qui escortent la nouvelle administration américaine et son soutien affiché à l'écosystème, tout laisse à penser que les cryptomonnaies vont continuer de susciter les convoitises.

En parallèle, les professionnels redoutent aussi les effets combinés des fuites de données de plus en plus fréquentes et des obligations imposées par les nouvelles législations sur le secteur, notamment la réglementation européenne Travel Rule (TFR), qui oblige les plateformes d'échanges de cryptos enregistrées en Europe à collecter en plus des données d'identité KYC classiques, des informations détaillées sur les portefeuilles utilisés par leurs clients, y compris les adresses vers lesquelles les fonds sont envoyés. "Les plateformes disposent à la fois de votre adresse postale et de vos adresses cryptos. Or, avec la transparence de la blockchain, cela signifie qu'il est possible de relier le montant détenu dans vos portefeuilles cryptos à votre adresse physique", alerte auprès de RTL Renaud Lifchitz, expert en cybersécurité.

Le regroupement de ces données peut faire courir un risque aux utilisateurs. En cas de piratage ou de fuite interne - comme cela a pu être observé lors de l'affaire Ledger en 2020 ou suspecté dans plusieurs cas récents de SIM swapping - ces renseignements peuvent devenir des outils redoutables pour des criminels capables d'identifier précisément leur cible, de localiser leur domicile et de fixer une rançon sur mesure. Une menace d’autant plus préoccupante que plusieurs grandes plateformes crypto ont déjà connu des fuites de données. "On sait où vous trouver et combien vous possédez. De quoi faire le crime parfait", anticipe l'expert. Selon lui, la loi française récemment adoptée sur le narcotrafic aggrave encore la situation en interdisant les dispositifs d'anonymisation comme les mixeurs ou les adresses multiples et en assimilant toute tentative de protection à une suspicion de blanchiment. "Avoir simplement une bonne hygiène numérique fait de vous un suspect", regrette le spécialiste qui envisage une action en justice pour contester la constitutionnalité de ces mesures.

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