L'Union européenne vient de rajouter 14 personnalités russes sur la liste des oligarques et dirigeants sanctionnés. Ils s’ajoutent aux dizaines qui avaient déjà été ciblées. Dirigeants politiques, élus, et oligarques, c’est-à-dire dirigeants et propriétaires d’entreprises richissimes, souvent très proches du pouvoir, qui ont pu constituer leurs prébendes grâce à leur proximité avec Poutine.
Ces milliardaires ont tous investi considérablement dans nos pays, dans l’immobilier à Londres, Courchevel ou sur la Côte d’Azur, dans les entreprises, dans les clubs de foot – Roman Abramovitch, magnat de l’énergie, est aussi le propriétaire de l’un des clubs anglais les plus réputés, Chelsea.
Et ils disposent de comptes bancaires ventrus dans les banques occidentales. L’idée, avec ces sanctions, c’est non pas de leur confisquer leurs avoirs, mais de les geler. Le problème, c’est que ce n’est pas aussi simple.
Parfois, on parvient à rapprocher une propriété et son détenteur. Oleg Deripaska par exemple, le milliardaire qui possède le N02 mondial de l’aluminium, russe, serait installé dans une maison sur Belgrave square, dans un quartier ultra huppé de Londres. Mikhaïl Friedman, sanctionné, possède la célèbre Althone House, une gigantesque demeure victorienne qui dépasse allègrement les 100 millions d’euros.
Les Russes ont tellement acheté sur le marché de l’ultra-luxe de la capitale britannique qu’on a rebaptisé celle-ci Londongrad, sur le modèle de Stalingrad bien sûr. Mais le problème, c’est que dans bien des cas, ces achats se font par l’intermédiaire de sociétés-écrans, basées dans les paradis fiscaux comme les îles vierges. A Londres, il existait aussi jusqu’à il y a peu une loi permettant à un acheteur immobilier de rester anonyme, ce qui a contribué à l’attractivité de la ville.
C'est très difficile de faire la liste exhaustive des biens, à cause des prête-noms. En plus, les logements habités sont hors d’atteinte, car les autorités se sont interdit les expulsions. Les sanctions buttent aussi sur ce qu’on appelle les golden visas, largement pratiqués en Europe et dans le monde. Ces "visas en or" sont des permis de résidence accessibles aux étrangers qui investissent dans le pays concerné, qui conduisent souvent à l’acquisition rapide de la nationalité.
C'est exactement ça. Le Portugal demande ainsi 500.000 euros investis dans l’immobilier pour garantir un permis de résidence, et un passeport après cinq ans. L’Autriche demande elle, 10 millions mis dans une entreprise, ou 3 millions dans les obligations d’état.
À Chypre et à Malte, pays européens réputés pour leur opacité financière et pour leurs liens avec les réseaux mafieux russes, quelques centaines de milliers d’euros suffisent pour la procédure de nationalité accélérée. Quant à Londres, le tarif y est de 2 millions de livres, près deux millions et demi d’euros.
Ces dispositions, conçues au départ pour attirer les investissements étrangers, ont peu à peu été détournées, surtout dans les pays peu regardants sur la provenance de l’argent. Bon nombre de ces riches Russes ont donc acquis ainsi une autre nationalité, européenne, ce qui les protège au moins en partie des sanctions.
Au Royaume-Uni, le scandale est tel que le gouvernement vient de durcir considérablement les règles contre les Russes, quitte à plomber le marché immobilier du super-luxe. Et à plomber aussi les finances du parti conservateur, celui du Premier ministre Boris Johnson, qui avait reçu des dons substantiels de la part des oligarques. La Bulgarie avait fait ménage elle aussi l’année dernière. Mais les autres pays européens n’ont pas bougé.