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Des policiers anti-émeutes intervenant sur une manifestation à Lyon.
Crédit : JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP
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Développer une "surveillance citoyenne" pour "en finir avec l'impunité policière". Des familles de victimes de "violences policières" regroupées au sein de l'Observatoire national des pratiques et des violences policières (ONPVP) ont lancé mardi 10 mars une application pour filmer en direct les interventions des forces de l'ordre avec l'objectif de récolter des "preuves" à produire en justice en cas de manquements des fonctionnaires.
Appelée "Urgence violences policières", cette application permet de filmer les interventions des forces de l'ordre et d'envoyer les images à l'association de familles. Les vidéos, d'une durée de dix minutes maximum, sont géolocalisées et envoyées en temps réel sur les serveurs de l'association pour empêcher la police de les supprimer. Elles pourront ensuite être transmises à la justice pour documenter les violences et accompagner les victimes.
L'application est pour l'instant disponible sur Android, où elle a déjà été téléchargée à près de 700 reprises, et le sera prochainement sur l'iPhone, lorsqu'elle aura reçu l'approbation d'Apple. Inspirée du "copwatching", une pratique née aux États-Unis dans les années 90 dans un contexte de violences policières à caractère raciste, elle est le fruit de "plusieurs années de réflexion et d'observation du comportement de la police française" par l'Observatoire national des pratiques et des violences policières (ONPVP).
Cette association regroupe plusieurs familles de victimes de "violences policières", dont Amal Bentounsi du collectif "Urgence notre police assassine", fondé après la mort de son frère en 2012, tué d'une balle dans le dos à Noisy-le-Sec alors qu'il tentait de fuir la police, recherché pour des faits de braquage. L'Observatoire travaille sur les problématiques liées au maintien de l'ordre depuis 2016 et partage régulièrement des vidéos, images et témoignages de victimes d'interventions brutales de la police sur les réseaux sociaux.
"L'objectif est de mettre en place une protection citoyenne, explique Amal Bentoussi, contactée par RTL.fr. La vidéosurveillance est très développée dans l'espace public mais il est très compliqué de se procurer ces vidéos dans les affaires de violences policières où elles peuvent faire office de preuves. Elles mettent du temps à être traitées, les extraits sont tronqués, les caméras ne fonctionnent pas... Et sans éléments matériels, il est très difficile de traduire des fonctionnaires en justice car les témoignages ne sont pas suffisants".
"L'idée est née des discussions avec les gens qui nous envoient des vidéos sur Facebook. Dans la majorité des cas, des personnes ont filmé des violences mais la police a supprimé la vidéo, surtout en banlieue, dans les quartiers, poursuit la militante. On veut dire aux citoyens d’être vigilants, qu’ils ont des droits et qu’ils peuvent les utiliser, et, de l’autre côté, amener à ce que certains policiers, se sachant surveillés, adoptent un comportement irréprochable".
Contacté par RTL.fr, le syndicat Alliance Police Nationale y voit "une nouvelle tentative pour stigmatiser l'action de la police" et "mettre en danger des policiers". "Filmer des policiers en intervention perturbe les interventions. De plus en plus de personnes filment de manière indépendante dans une démarche d'interprétation de l'action de la police", regrette Stanislas Gaudon, délégué général communication du syndicat qui réfute totalement le terme de "violences policières" et souligne que "l'usage de la force est légitime ou ne l'est pas".
"Cette application est dangereuse", estime pour sa part le secrétaire général du syndicat Synergie-Officiers, Patrice Ribeiro, qui s'inquiète de voir l'outil utilisé pour "localiser des opérations policières en temps réel et ramener des émeutiers sur le terrain lors d'intervention dans des halls d'immeubles en banlieue par exemple".
"Si le principe de cette application est de rendre la justice par rapport aux policiers, elle se substitue aux organismes et aux procédures qui existent déjà, au parquet, à l’IGPN et même au défenseur des droits", poursuit Stanislas Gaudon du syndicat Alliance. "Ça nous conforte dans l’idée qu’il faudra à un moment ou à un autre que le ministère de l’Intérieur réfléchisse à comment protéger les agents en intervention".
Filmer les policiers sur le terrain est devenu une arme pour les militants qui luttent contre les violences policières. Les vidéos d'interventions brutales des forces de l'ordre se sont multipliées sur les réseaux sociaux et les plateformes de partage de vidéos ces derniers mois. Abondamment relayées par le journaliste indépendant David Dufresne depuis le mouvement des "gilets jaunes", notamment, elles ont déclenché de vifs débats et parfois donné lieu à des enquêtes.
La prise d'images d'un policier sur la voie publique est une pratique légale dont les dispositions sont détaillées dans une circulaire datée de décembre 2008. Le ministère de l'Intérieur y précise que "les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l'image", sauf dans la cas de missions spéciales, comme le GIGN, la BRI ou l'antiterrorisme.
La circulaire autorise cependant les policiers à délimiter un périmètre de sécurité pour les besoins de l'enquête et leur propre sécurité. Un motif que les fonctionnaires invoquent régulièrement pour tenir les vidéastes à distance, rappelait Libération dans un article consacré au sujet l'an dernier.
Une note de la Direction générale de la police nationale a rappelé début 2018 aux policiers qu'ils n'ont pas le droit de s'opposer aux prises de vues à leur encontre à l'exception de ces cas particuliers pour lesquels il est obligatoire d'anonymiser les personnes filmées.
Cette règle n'a jamais fait l'unanimité chez les policiers qui s'inquiètent de voir des fonctionnaires facilement identifiables devenir des cibles et faire l'objet de représailles en cas de diffusion d'images sur les réseaux sociaux. Plusieurs syndicats ont demandé au ministère de l'Intérieur de faire évoluer le droit pour des raisons de sécurité. "Souvenons-nous de l'attentat de Magnanville ou du couple de policiers tabassé devant leur fille de trois ans en Seine-et-Marne", rappelle Stanislas Gaudon du syndicat Alliance.
Pour protéger les forces de l'ordre, un sénateur LR a déposé en décembre dernier plusieurs amendements dans le cadre de la proposition de loi sur la lutte contre la haine sur Internet prévoyant notamment de sanctionner de 15.000 euros d'amende la diffusion d'images de policiers en l'absence de leur accord. Ces propositions ont finalement été jugées irrecevables par le Sénat.
Fin février, Médiapart a révélé que le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner envisageait de contrôler la diffusion de vidéos en rendant obligatoire le floutage des agents. Une information démentie par le ministre, qui assure n'avoir demandé aucune étude juridique sur le sujet. Mais la direction de la police a confirmé qu'elle réfléchissait bien à un moyen de mieux encadrer la captation et la diffusion d'images de policiers en intervention.
Filmer des policiers en intervention peut parfois conduire à des drames. Le 3 janvier dernier, un livreur de 42 ans est mort par asphyxie après avoir été plaqué au sol par plusieurs policiers alors qu'il filmait son interpellation.
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