Langue française : pourquoi dit-on "courir comme un dératé" ?

Certaines expressions sont aussi courantes que surprenantes. Muriel Gilbert lève le voile sur cet intrigant "dératé" qui court plus vite que nous...

Image d'illustration

Crédit : miguel-a-amutio/unsplash

Pourquoi dit-on "courir comme un dératé" ?

00:02:51

Ce dimanche, petit cours d’anatomie, amis des mots… D’anatomie et de langue française, bien sûr. Tenez, pour commencer, savez-vous où se trouve votre rate ? En général, on sait en gros que ce n’est pas un os du pied, mais pas grand-chose de plus. Je suis allée vérifier ça dans le Larousse médical : la rate se trouve dans le coin supérieur gauche de l’abdomen.
Je précise que c’est à Nabil, de Niort, que nous devons cette enquête anatomique. Nabil m’écrit qu’un matin de cette semaine, en regardant la rediff d’une émission de foot, il s’est demandé d’où venait l’expression que venait d’employer un des commentateurs : "Tout le match, le joueur a couru comme un dératé".

Drôle d’expression, en effet ! Alors "courir comme un dératé", c’est courir très vite, bien sûr. Et un dératé, c’est littéralement quelqu’un qui n’a plus de rate – dé-raté. Cet organe de la taille d’un poing (à ne pas confondre avec son homonyme la rate qui est madame rat ni avec son autre homonyme la ratte qui est une patate, mais là attention il faut deux T)… la rate, donc, jouerait un rôle essentiel dans notre système immunitaire, mais pour le reste sa fonction demeure assez mystérieuse, constate mon dico médical… et d’ailleurs c’est un peu de là, de cette ignorance, que provient notre expression.

On a longtemps cru que la rate ne servait... à rien

Vous imaginez bien que si aujourd’hui on n’a pas élucidé toutes les fonctions de la rate, autrefois le mystère était encore bien plus grand. En fait, on a longtemps cru qu’elle ne servait à… rien du tout. Qu’à vous donner ces satanés points de côté qui vous obligent à arrêter de courir, pensaient les sages de l’Antiquité. Une croyance qui a perduré jusqu’à une époque récente, l’expression "courir comme un dératé" datant du XVIIIe siècle seulement. Figurez-vous qu’on a même été jusqu’à retirer la rate à certains animaux pour qu’ils courent plus vite. En général, à plus ou moins brève échéance, le résultat était surtout qu’ils mouraient…

Bref on peut dire que l’expression est née d’une erreur et qu’un dératé court plutôt moins bien qu’un… raté ! Espérons en tout cas qu’on n’ait pas retiré la rate à des humains... On a également longtemps imaginé que la rate attirait l’humeur mélancolique, révèle le Dictionnaire historique de la langue française, c’est pourquoi "se décharger la rate", cette expression oubliée, a un temps signifié "laisser éclater sa colère".

Plus récemment, "Valérie se dilate la rate" est devenu synonyme de "Valérie rit à gorge déployée" tandis que "Jean-Sébastien se met la rate au court-bouillon" prenait le sens de "Jean-Sébastien se fait du souci", et que "Antoine ne se foule pas la rate" devenait une façon de le traiter de partisan du moindre effort… Bref, la rate, on ne sait pas trop où elle est ni à quoi elle sert, mais elle régale bien les amis des mots et des expressions !

La rédaction vous recommande