Amis des mots, c’est sans doute l’omniprésence de l’inflation économique qui l’explique, mais partout il est question du coût de la vie dans les journaux et sur les réseaux sociaux. Quitte à devoir payer plus cher, autant s’en plaindre de manière correcte : parler français correctement, c’est parfois difficile, reconnaissons-le, mais c’est gratuit !
Intéressons-nous donc à ce cher "cher". C’est un mot intéressant à plus d’un titre. D’abord, curieusement, il affiche deux sens bien distincts : "cher" parle d’amour, et "cher" parle d’argent. "Cet homme m’est très cher ; Cet appartement est très cher...". Eh bien, figurez-vous que ce double sens existe depuis l’origine.
"Cher" vient du latin carus, qui signifiait déjà, précise mon cher Dictionnaire historique de la langue française, à la fois "chéri, aimé" et "précieux, coûteux". La différence entre les deux sens se fait souvent – mais pas toujours – par la place de cher dans la phrase : il se met volontiers avant le nom quand il s’agit d’affection, comme dans "mon cher fils" et après le nom quand il s’agit de dépenses, comme dans "un produit cher"...
Mais ce petit mot comporte une autre curiosité… vous devinez laquelle ? C’est une question que l’on me pose souvent : dans son sens financier, "cher" possède bien des synonymes (onéreux, dispendieux, coûteux, inabordable, ruineux, exorbitant – qui au passage ne prend pas de H après le X) mais aucun véritable antonyme, aucun contraire. Quand quelque chose est l’inverse de cher, à part s’il est gratuit (on peut rêver), on en est réduit à utiliser cher avec une négation : "Dis donc, c’est pas cher !". Avec un meilleur niveau de langue, on dira que "C’est bon marché".
Mais "bon marché" n’est pas un mot : c’est une locution, un ensemble de mots. Et revenons à notre cher "cher". Il y a une faute que je corrige de temps en temps sous la plume des journalistes du Monde, mais qui pullule surtout dans l’espace public : non, un-prix-ne-peut-pas-être-cher ! Un objet, oui, un prix, non. Pourquoi ? Tout simplement à cause de la définition même de cher dans cet usage. Prenons celle du Larousse : cher, c’est "d’un prix élevé". Un prix peut être élevé, mais un prix ne peut pas être… "d’un prix élevé". Ni bon marché d’ailleurs. Ni dispendieux, ni onéreux. Il peut être raisonnable, il peut être bas, mais pas cher.
L’autre faute très fréquente, mais j’en avais déjà parlé dans Un bonbon sur la langue, c’est quand "cher" est employé comme adverbe, en association avec le verbe coûter, notamment. "Les voyages sont chers", ici "cher" est adjectif et s’accorde avec voyages au pluriel ; en revanche si je dis "Les voyages coûtent cher", alors "cher" est adverbe, donc comme tous les adverbes il est invariable.
Tenez, reprenez donc Un bonbon sur la langue, ils ne coûtent pas cher !