La face cachée de Doctolib, cette plateforme devenue incontournable avec la pandémie. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 40 millions d’utilisateurs avant l'épidémie de coronavirus contre 60 millions aujourd’hui.
Entre-temps, 70 millions de rendez-vous pris, avec une date-clef : le 12 juillet 2021. Ce soir-là, Emmanuel Macron annonce l’instauration du passe sanitaire. Il vient à peine de terminer son discours que Doctolib est pris d’assaut avec 30.000 connexions par seconde.
Une "salle d’attente virtuelle" est mise en place pour éviter que le système ne disjoncte. "Nous avons pu prendre 20.000 rendez-vous par minute", révèle le directeur technique, Philippe Vimard. Score final : 926.000 réservations. Une toute puissance qui pose question. Le magazine Capital s’y intéresse ce mois-ci.
Au début de l’histoire, Doctolib balbutie. Pour de vrai : son fondateur, Stanislas Niox-Chateau, souffre de bégaiement, et il en a marre de galérer pour obtenir des rendez-vous médicaux. Dans la prise de rendez-vous, il a de l’expérience. Ce diplômé d’HEC a conseillé des start-ups comme La Fourchette ou Balinea. En 2013, il reproduit ce système dans le domaine de la santé. Et s’impose en France comme en Allemagne.
Et puis avec le Covid, Doctolib devient quasiment un service public. Il équipe 80% des centres de vaccination, et squatte 90 % des parts de marché. Les concurrents, Keldoc et Maiia, se partagent les miettes. Alors la start-up rappelle qu’elle n’est pas encore rentable, et qu’elle réinvestit tous ses gains mais elle est quand même labellisée licorne, c’est-à-dire valorisée à plus d’un milliard d’euros. Le chiffre d’affaires est secret mais selon Capital, il avoisinerait les 20 millions d’euros mensuels.
Du coup, on a un peu cette impression que Doctolib a profité de la crise. "Faux", dit le DG, "la pandémie n’était une opportunité pour personne, l’opportunité, c’était d’en sortir". De fait, gérer la vaccination, ça ne rapporte pas grand chose. L’essentiel des revenus provient des abonnements facturés aux cabinets : 129 euros par mois. Ils sont désormais 150.000 utilisateurs. Plus 20.000 médecins abonnés à la téléconsultation, pour 79 euros mensuel.
Derrière cette croissance généreuse, il y a des effectifs conséquents : 1.900 employés à ce jour, dont 400 commerciaux, des démarcheurs de cabinets réputés pour leurs méthodes insistantes. Les patients, eux, adorent le côté simple et instantané de Doctolib. Mais certains médecins en pointent les effets pervers : "cela a introduit un effet consommation : si le praticien habituel n’est pas libre, les gens vont chez celui d’à côté."
Trop puissant, Doctolib? La firme flirte avec le monopole. Une plainte a été déposée en 2019 et l’Autorité de la concurrence a ouvert une enquête. D'ailleurs les pouvoirs publics font de la résistance, comme l’AP-HP qui développe son propre portail patient, déjà 2 millions d’utilisateurs. Les prémices de "Mon espace santé", une plateforme qui permettra entre autres de partager les documents de santé de façon sécurisée.
Car l'ascension de Doctolib soulève aussi la question sensible de la protection des données médicales. C’est un reproche récurrent qui lui est fait : les data de ses utilisateurs sont stockées sur des serveurs basés en France et en Allemagne, mais ils appartiennent à Amazon Web Services, filiale cloud d’Amazon. Or la loi américaine prévoit un droit d’accès de l’Etat si l’intérêt national l’exige.
Mais Doctolib assume, et rappelle qu’elle a mis en place des garde-fous solides: toutes les données sont chiffrées grâce à des clés virtuelles, elles-mêmes hébergées chez le groupe français Atos. Si vous chargez une ordonnance ou une radio dans Doctolib, seul votre praticien pourra la déchiffrer. Un rachat par Google ou Amazon reste peu probable. En revanche, les Gafam pourraient bien développer leur propre Doctolib… Et là, le fleuron de la French Tech aura du souci à se faire.
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