Face à la Covid-19, les soignants sont les premiers au front. Alors que le pays est "en guerre" contre le virus, selon les propos d'Emmanuel Macron, ils ont pourtant parfois été insuffisamment armés. Un problème en particulier a régulièrement été dénoncé : celui du manque de masques, et en particulier des masques les plus protecteurs, les FFP2.
Pour faire face à la pénurie, des masques étrangers, aux normes équivalentes au FFP2, ont été importés au début de la crise sanitaire. Parmi eux notamment, des N95 (l'équivalent du FFP2 aux Etats-Unis) et des KN95, l'équivalent du FFP2 en Chine. Mais ces derniers, les masques KN95 chinois, font débat dans les hôpitaux.
À Rennes notamment, des représentants du personnel se sont inquiétés en septembre de leur efficacité. Début décembre, alors qu'un cluster d'une trentaine de personnes s'est déclaré, ils lancent l'alerte auprès de leur comité d'hygiène. Les collectifs Inter Urgences et Inter Blocs dénoncent également des "masques à la qualité et à la sécurité douteuse".
Pourtant, le Haut Conseil de Santé Publique est catégorique sur la qualité de la norme KN95. "Les masques marqués 'KN95' [...] offrent une protection similaire aux masques FFP2 pour le risque infectieux", écrit-il dans un avis du 29 octobre. "Dans le cadre de la protection contre les gouttelettes et aérosols liés à la respiration, la performance évaluée [...] est suffisante", poursuit-il.
Le problème, selon Didier Lepelletier, médecin hygiéniste et vice-président de la Commission spécialisée système de santé et sécurité des patients du Haut Conseil de Santé Publique, est que "beaucoup de contrefaçons, notamment en provenance de Chine, ont été importées en France". "On se retrouve avec un gros stock d'équivalents au FFP2 non-conformes", explique-t-il. Le chef du service de bactériologie du CHU de Nantes raconte avoir testé avec ses équipes une dizaine de marques : "60% des masques ne passaient pas les tests d'étanchéité", déplore-t-il.
En effet, face à la pénurie de masques FFP2, les autorités sanitaires ont du trouver des solutions dans l'urgence. Le 27 mars 2020, les ministères de l’Économie et des Finances, du Travail, et de l’Action et des Comptes publics prennent une circulaire pour autoriser l'importation de masques ne portant pas le marquage CE (conformité européenne), à condition qu'ils correspondent les normes étrangères équivalentes au FFP2. Mais "sur des millions de masques commandés, on peut imaginer que tous n'ont pas été testés sur leur efficacité", avance Didier Lepelletier.
Est-il possible que des masques contrefaits aient été distribués dans les hôpitaux ? Difficile à dire. Les masques reçus par les soignants proviennent de stocks d'Etat : le contrôle de leur qualité relève donc du ministère de la Santé. Contacté, le ministère assure que "la conformité des spécifications annoncées" a été contrôlée par l'Agence de sécurité du médicament (ANSM) et qu'à "chaque livraison, Santé publique France [...] procède à la vérification de la conformité des produits de santé" en étudiant un échantillon représentatif sur chaque lot reçu. Il rappelle par ailleurs que les établissements de santé ont reçu des dons, "non liés aux stocks de Santé Publique France" et dont la sécurisation ne lui incombait donc pas. Le ministère de la Santé indique ainsi avoir "mis en place un formulaire spécifique pour signaler les défauts qualité" des équipements de protection.
Qu'il s'agisse de contrefaçons ou de véritables masques KN95, les soignants pointent différents problèmes. Le premier : la mention "non medical use" (pas d'usage médical) sur certains paquets de masques. Une phrase qui inquiète les soignants, quand on sait les risques qu'ils peuvent prendre au quotidien.
Le Centre d'appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) de Bourgogne Franche-Comté a été saisi par plusieurs équipes d'hygiène à ce sujet. Après avoir "fait le point avec un des pharmaciens inspecteurs" de l’agence régionale de santé (ARS) et l'Observatoire du Médicament, des Dispositifs médicaux et de l'Innovation Thérapeutique (OMEDIT) de la région, le CPias a conclu que la mention "non medical use" était présente pour signifier aux douanes à l'export qu'il ne s'agissait pas de dispositifs médicaux.
En effet, les masques KN95, comme les FFP2, ne font pas partie de cette catégorie de produits, mais de celle des "appareils de protection respiratoire". Il ne s'agirait donc pas selon le CPias d'un défaut d'efficacité des masques.
Un deuxième problème est pointé par les collectifs de soignants : certains masques ne s'adapteraient pas suffisamment aux différentes morphologies de visage. Le syndicat SUD du CHU de Rennes fait ainsi état de masques qui "baillent sur les côtés". "Il est normal qu'un masque chirurgical baille sur les côtés. Mais pour un FFP2, dont le principe est de protéger le porteur, il faut que le masque colle au visage", rappelle Didier Lepelletier, du Haut Conseil de Santé Publique.
Certains hôpitaux ont ainsi décidé de retirer ces masques. Le collectif Inter Blocs, qui a réalisé en janvier avec Inter Urgences une consultation des soignants sur les masques KN95, dit même avoir eu des remontées de retraits "à la hâte" de masques dans de nombreux hôpitaux, dans la foulée de son initiative.
Le CHU d'Angers fait partie des hôpitaux qui ont retiré des masques KN95. Il parle de masques "présentant des problèmes d’ajustement et de confort". "Des contrôles qualité par échantillonnage sont effectués à la livraison. Lorsqu’il y a une non-conformité, les produits sont retirés", précise l'hôpital auprès de RTL.fr.
Face à la gronde des soignants, le CHU de Rennes a également retiré ses masques KN95 à partir du mois de novembre. Un retrait pour "rassurer les agents", selon Pierre-Yves Donnio, responsable de l’unité d’hygiène au CHU de Rennes, interrogé par France Bleu. "Ils sont encore stockés quelque part dans l'hôpital, mais on ne sait pas s’ils ne vont pas resurgir", s'inquiète Yves Morice, représentant de Sud Santé Soc