"On a peur pour nos collègues. On se mobilise parce qu'il y a urgence." Dans le collège Lucie Aubrac à Givors (Rhône), deux enseignants, Leïla M. et Pierre R., ont commencé lundi 25 janvier une grève de la faim. L'objectif : demander plus de personnel, et un classement de leur établissement en REP+, le réseau d'éducation prioritaire renforcé, pour ceux qui rencontrent de grandes difficultés sociales.
Quelque 70 enseignants de la maternelle au collège, mobilisés au sein du Collectif Aubrac, soutiennent cette démarche. Ils y voient la solution à la "nette hausse des agressions et des violences" dans leur établissement.
"Cela fait maintenant des années qu'on se bat pour un classement en REP+", déclare auprès de RTL.fr Leïla M., professeure d'Arts plastiques en grève de la faim depuis quatre jours. Cette fois, les enseignants ont décidé de marquer le coup avec une action forte. "La semaine dernière, nous avons eu trois agressions d'enseignants en quatre jours, avec des choses extrêmement graves. Ça a été la goutte d'eau qui fait déborder le vase", raconte son collègue Pierre R., professeur d'Histoire-géographie.
La première agression, c'est un élève qui a jeté des ciseaux sur le tableau lors d'une altercation avec son professeur d'espagnol, avant de le menacer avec. L'élève a depuis été exclu. Puis il y a eu une autre professeure, prise à partie par trois élèves en sortant du collège pour aller prendre un train. Le collectif Aubrac assure qu'elle a été "suivie et agressée verbalement en essayant de l'empêcher de passer".
Enfin, il y a eu un troisième prof', pourchassé par une voiture en sortant du collège alors qu'il était à vélo. "La voiture a tenté de l'écraser à trois reprises, notre collègue ne doit sa vie qu'à ses bons réflexes : il s'est jeté sur le côté de la route et s'est réfugié dans un commerce", raconte Pierre R.
L'enseignant en question a déposé plainte pour "tentative d'homicide" avec arme par destination. Pour l'heure, les raisons de cette agression sont encore inconnues, et rien n'indique qu'elle soit directement liée au travail de la victime au sein du collège. Une enquête est en cours.
Pour les deux grévistes, les restrictions sanitaires ont empiré la situation de ce collège de la métropole lyonnaise. "On observe que les élèves, qui n'ont plus d'activités sportives, ne peuvent plus extérioriser. À la moindre contrariété, ils montent plus facilement dans les tours", soutient la professeure d'Arts plastiques, qui ajoute qu'il y a "urgence à agir". En attendant, de nombreux membres du personnel font du covoiturage le soir pour éviter d'avoir à sortir seuls de l'établissement.
Le rectorat de l'Académie de Lyon a d'ores et déjà accordé au collège le recrutement d'un CPE à mi-temps et d'un surveillant (ou AED, pour assistant d'éducation) supplémentaire, jusqu'à la fin de l'année scolaire. Mais le collectif demande que ce nouveau personnel soit renforcé et pérennisé, la mise en place de cellules psychologiques pour les personnes agressées, ou encore de nouveaux dispositifs de soutien pour les élèves. "Il faut nous donner le statut de REP+", insiste surtout Leïla M.
Le collectif estime le collège aurait dû passer en REP+ depuis 2015. Le problème : "seuls" 22 établissements de l'Académie peuvent faire partie du réseau d'éducation prioritaire renforcé. "On remplit les critères", soutient l'enseignante d'Arts plastiques. "On en a marre de passer systématiquement après les autres établissements".
Interrogé à ce sujet, le directeur académique des services de l'Education nationale du Rhône, Guy Charlot, répond à RTL.fr qu'il s'agit de "critères anciens", puisque la carte scolaire doit être revue d'ici à la rentrée 2022 au niveau national. "Sur 113 collèges dans l'Académie, il est normal que certains soient très près les uns des autres", assure-t-il. "On ne peut pas dire que le collège Lucie Aubrac n'est pas traité équitablement", insiste encore Guy Charlot.
Dans un communiqué en date du 25 janvier, l'Académie de Lyon souligne néanmoins que les nouveaux moyens accordés au collège, en plus de la "dotation complémentaire" dont il dispose "pour prendre en compte la difficulté scolaire et sociale de l'établissement", lui permettent de disposer de "moyens équivalents à un établissement classé en REP+".
Dans un autre communiqué, du 29 janvier, le rectorat, la préfecture du Rhône et le parquet de Lyon indiquent qu'un "protocole commun sera rapidement mis en œuvre" pour mieux prendre en considération les signalements dans les établissements scolaires et accroître leur surveillance. Le directeur académique des services de l'éducation nationale du Rhône assure par ailleurs travailler avec les services de l'État à la mise en place d'un dispositif renforcé de rappel à la loi pour les jeunes, avec des "mesures de réparation".
Enfin, le collège Lucie Aubrac a également obtenu ce vendredi 29 janvier le label "Cité éducative", après une annonce du Premier ministre. Un label qui vise "à intensifier la prise en charge éducative des élèves [...] à l'école et hors de l'école".
De leur côté, les enseignants poursuivent leur grève, "plus que jamais". Ils sont d'ailleurs soutenus par les unités locales du Syndicat national des enseignements de second degré (SNES), et de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE). "Beaucoup de parents apprécient qu'on ait choisi de faire à deux une action forte comme une grève de la faim, plutôt que de proclamer la grève illimitée, qui aurait eu un gros impact sur le suivi des cours", soutient Pierre R.
Les deux grévistes sont installés dans une petite salle, à côté de la salle des profs. Face aux demandes de mutations, démissions et autres arrêts maladies pour épuisement professionnel, les enseignants l'ont aménagé "pour permettre aux personnels de souffler", raconte Leïla M.
Depuis cette "salle zen", Leïla M. et Pierre R. interviennent en vidéo sur la chaîne Youtube du Collectif Aubrac, et suivent les résultats de la pétition qui a été lancée. Une attitude qui ferait presque penser aux paroles de Lucie Aubrac, qui a donné son nom au collège : "Le mot résister doit toujours se conjuguer au présent".