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"Je suis un moine en mission" : le lanceur d’alerte de Bétharram raconte son combat contre les violences de l’institution

PODCAST - Depuis 2023, Alain Esquerre collecte les témoignages d'anciens élèves violentés au sein de l'établissement Notre-Dame-de-Bétharram (Pyrénées-Atlantiques). C'est grâce à lui qu'une enquête a été ouverte en février par le parquet de Pau. Il raconte dans "Les Voix du crime" comment il est devenu le lanceur d'alerte de ce scandale.

L'ancien élève et lanceur d'alerte Alain Esquerre, devant l'institut Notre-Dame de Bétharram

Crédit : Gaizka IROZ / AFP

Le lanceur d'alerte de l'affaire Bétharram raconte son combat contre "la monstruosité" de l'institution

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Marie Zafimehy

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C’est une grande bâtisse blanche nichée dans les collines du Béarn, au bord du gave de Pau. C’est là, à quelques kilomètres de la préfecture des Pyrénées-Atlantiques que, pendant des décennies, des enfants ont été scolarisés dans la terreur : Notre-Dame-de-Bétharram

Alain Esquerre se souvient très bien de ses six années passées dans l'institution, au cœur d'un scandale national de violences éducatives depuis le début de l'année 2025. "Je vais subir ces violences à Bétharram, non seulement ces violences physiques, mais surtout cette terreur permanente quand vous allez à l'école et qui vous prend aux tripes", témoigne-t-il dans Les Voix du crime

Gifles, tabassages, harcèlement, agressions sexuelles... Une enquête a été ouverte par le procureur de la République de Pau en février pour faire la lumière sur ces violences décrites comme omniprésentes au sein de l'établissement. Des investigations rendues possibles par la persévérance d'Alain Esquerre, devenu malgré lui, lanceur d'alerte.

Je suis atterré (...) Je n'étais pas au courant des actes pédocriminels qui étaient perpétrés depuis des décennies dans cette structure

Alain Esquerre, lanceur d'alerte du scandale Bétharram

Son travail commence en dans les années 1990. Il est à l'époque étudiant en droit et réalise le traumatisme qu'ont représenté ses années passées à Bétharram. "Je vais me manifester auprès de la première victime qui va déposer plainte", explique Alain Esquerre. Cette première victime est un élève de l'établissement qui a perdu 40% de son audition à la suite d'une gifle. Avec le père de ce garçon et une professeure de mathématiques, Françoise Gullung, Alain Esquerre va distribuer des tracts et prendre la parole dans la presse... en vain.

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Il faut attendre 2023, pour qu'un mouvement s'amorce. Cette année-là, il croise la route d'un ancien surveillant de l'institution lors d'une promenade. "Je ressens beaucoup d'émotion parce que je vois le visage de celui qui arrive à Bétharram en 1983 et qui est particulièrement violent avec les élèves", confie-t-il. À la suite de cette rencontre fortuite, il décide d'ouvrir un groupe Facebook pour recueillir les témoignages d'anciens de Bétharram. "Au début, c'est des petits témoignages sur des petites violences physiques parce que je suis concerné par ça, en fait. Donc, j'attire ces personnes-là", commence-t-il. 

Puis il découvre les faits de violences sexuelles. "Je suis atterré", soupire-t-il avec colère. "On savait qu'il y avait une éducation rigoureuse pour l'avoir subie moi-même, mais je n'étais pas au courant des actes pédocriminels qui étaient perpétrés depuis des décennies dans cette structure. Je le découvre en 2023. Et c'est pour ça que toute la population locale était sidérée par ces révélations qui sont extrêmement dures. Ils ont fait confiance à ces prêtres. Ils ne pouvaient pas imaginer que dans ces murs se passait l'innommable."

Je suis un moine en mission

Alain Esquerre, lanceur d'alerte du scandale Bétharram

Sur la base de ces témoignages recueillis en ligne, Alain Esquerre dépose au fur et à mesure, des corpus de plaintes au bureau du procureur de la République de Pau. "Aujourd'hui encore, le parquet de Pau est dans l'incapacité de nous donner le nombre de plaintes réelles qui ont été reçues par leur service", regrette-t-il. Au mois de septembre, lui en avait déposé 217 au total. "Je pense que je suis un moine en mission sur cette Terre, sur cette question des violences physiques et sexuelles", explique-t-il.

Aujourd'hui, un seul surveillant est mis en examen et incarcéré : celui qu'Alain Esquerre accuse d'être son bourreau. "Il paye aujourd'hui en détention, pas pour tout ce qu'il a commis, parce que malheureusement, il n'y a pas encore, à mon sens, assez de victimes qui se sont manifestées", déclare-t-il. Ce surveillant, lui, ne reconnaît pas l'intégralité des faits. Ce qui n'empêche pas Alain Esquerre d'être certain qu'il "y aura un procès Bétharram".

Parfois, j'ai envie de tout abandonner

Alain Esquerre, lanceur d'alerte du scandale Bétharram

Parallèlement, celui qui est devenu lanceur d'alerte attend que la commission d'enquête parlementaire qui s'est terminée avant l'été débouche sur de véritables mesures de protection de l'enfance. "Il y a eu des engagements qui ont été pris, assure-t-il. D'abord, que les victimes soient reconnues, qu'elles soient entendues, qu'elles soient auditionnées de la meilleure manière possible par les enquêteurs." 

Il regrette cependant que François Bayrou, Premier ministre au moment de l'explosion du scandale, aie concentré l'essentiel de l'attention : s'il est accusé d'avoir couvert les violences lorsqu'il était ministre de l'Éducation nationale, il n'est pour lui que "la petite partie émergée de l'iceberg". Depuis, 90 collectifs de victimes se sont montées, rapportant des faits de violences dans autant d'établissements catholiques sous contrat.

Aujourd'hui, Alain Esquerre continue son travail même s'il y a des hauts et des bas. "Parfois, j'ai envie de tout abandonner. Je vous le dis vraiment. Et de l'autre, j'ai toujours une victime qui va m'appeler, qui va me raconter pendant des heures son traumatisme, qui va me remettre de l'énergie." Lui, en est certain : ce moment est historique et il faut que chacun prenne sa part de responsabilité.

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