INFO RTL - Assassinat de l'ex-rugbyman Aramburu : les deux tireurs étaient fichés S pour leurs liens avec l'ultradroite

Quatre balles en quatre secondes. Puis six balles en quatre secondes. C’est la cadence méthodique avec laquelle Romain Bouvier, puis Loïk Le Priol, tous deux mis en examen pour l’assassinat de l’ex-international de rugby Federico Aramburu après une altercation dans un bar parisien, ont tiré vers la victime, d’après les éléments d’enquête dont RTL a pris connaissance.

L'ancien joueur du Biarritz Olympique a été touché par six tirs, dont trois dans le dos d’après les résultats de l’autopsie. Une "véritable exécution", accuse un proche de la famille Aramburu. Une accusation contestée par les deux suspects qui affirment qu’ils n’avaient pas l’intention de tuer.

L’instruction se poursuit avec l’exploitation des témoignages et des images de vidéo-surveillance mais le profil dangereux des mis en cause se précise. Selon les informations de RTL, ils étaient tous les deux fichés S par la DGSI pour leurs liens avec l’ultradroite, et non le seul Loïk Le Priol, comme indiqué jusqu’à aujourd’hui.

Des armes à feu de collection retrouvées au domicile de Romain Bouvier

Les deux anciens du GUD, groupuscule d’extrême-droite coutumier des actions violentes, avaient également l’interdiction d’entrer en contact dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour des violences commises en 2015.

Autre élément révélé par l’enquête de la brigade criminelle de la PJ parisienne : une partie de la quinzaine d’armes à feu de collection retrouvées en perquisition au domicile de Romain Bouvier, officiellement légales et inoffensives, auraient pu être modifiées, c’est-à-dire potentiellement préparées pour un usage létal.

Des expertises sont encore en cours. Les armes étaient accompagnées de centaines de cartouches de différents calibres ainsi que, comme cela avait été révélé après l'assassinat, de brassards et de gilets "police", d’une statuette d’Hitler et d’une édition de Mein Kampf. Le monde du rugby, bouleversé, avait dénoncé après les faits un "assassinat au motif idéologique d’extrême-droite", dans une tribune publiée dans L'Équipe.

Un verre partagé avec un policier quelques heures avant

"On ne peut définitivement pas parler d’une simple bagarre de bar qui tourne mal", estime un proche de la famille Aramburu. Ultime fait troublant : avant de venir s’attabler au café Mabillon, Bouvier et Le Priol avaient pris un verre avec un ami un peu particulier : un policier membre de la DRPJ, la police judiciaire parisienne.

Aucun lien n’a pu être établi avec les faits mais le fonctionnaire a été entendu sur ses liens avec deux jeunes hommes fichés pour radicalisme. Il a affirmé, d’après nos informations, qu’il ne savait rien des armes et des fiches S.

Le scénario qui a précédé la mort de Federico Aramburu se précise

Les investigations menées depuis un an ont également permis d’affiner le scénario qui a précédé la mort de Federico Aramburu. Un peu avant six heures du matin, l’ancienne star du XV argentin âgé de 42 ans est assis en terrasse du Mabillon, à Saint-Germain-des-Prés, avec son grand copain et associé l’Irlandais Shaun Hegarty, son ancien co-équipier du Biarritz Olympique.

Amoureux du Pays basque les deux amis y ont posé leurs valises avec leurs familles après la fin de leur carrière sportive et ils ont créé une agence de tourisme spécialisée dans le rugby. Dans quelques heures, ce 19 mars, ils vont accompagner un groupe au stade de France pour le match France-Angleterre.

Mais pour l’heure ils mangent un burger accompagné d’une dernière bière après une longue soirée passée à fêter les 40 ans d’un ami et un contrat en vue de la Coupe du Monde 2023. Quelques tables plus loin trois autres clients, Loïk Le Priol, sa compagne Lyson Rochemir et Romain Bouvier, lancent des invectives à un consommateur attablé seul, passablement éméché.

"Tu veux te frotter à un commando marine ?"

Les propos ne sont pas racistes comme cela avait pu être évoqué mais humiliants. Les deux rugbymen n’apprécient pas et le font savoir à haute voix. Le Priol et Bouvier renvoient vertement l’Irlandais et l’Argentin à leurs accents et au fait qu’ils ne sont "pas d’ici".

Le ton monte. Loïk Le Priol se lève, et l’ancien plus jeune commando marine de France vient se camper devant Federico Aramburu, un brassard siglé "police" à la main : "Tu veux te frotter à un commando ?". La phrase est accompagnée de petits taquets au menton. Hegarty est parti payer, il revient, les deux amis décident de laisser tomber.

Mais avant de sortir, ils passent près de la table des trois autres. Federico Aramburu attrape Le Priol et le fait tomber au sol. Une bagarre éclate entre les quatre hommes, violente. Ils sont vite séparés par les videurs et les serveurs. Fin du premier acte. Aramburu et Hegarty sortent le visage gonflé. D’après deux témoins Le Priol et Bouvier exhibent alors une arme à la ceinture et leurs brassards police devant les serveurs en criant qu’ils auraient dû les laisser faire, des témoignages que les deux hommes contestent.

L'ancien membre des forces spéciales tire six balles à bout portant

Deuxième acte quelques minutes plus tard sur le boulevard Saint-Germain. Juste avant de regagner leurs chambres parisiennes, Hegarty et Aramburu sont entrés dans un hôtel pour demander de la glace à appliquer sur leurs visages. Ils ne savent pas que Romain Bouvier vient d’embarquer dans une Jeep militaire conduite par Lyson Rochemir et fait le tour du quartier.

Le Priol, lui, est parti à pied à la poursuite des deux rugbymen. C’est Bouvier qui tombe le premier sur eux quand ils sortent de l’hôtel avec les leurs sacs de glace. D’après l’enquête, Romain Bouvier debout sur le marchepied tire quatre fois vers Federico Aramburu qui est venu au contact, et le touche par deux fois, à la cuisse et au côté, avant de s’enfuir à pied. deux balles qui s'avèreront non mortelles.

La Jeep prend le large. Trente secondes plus tard Le Priol, qui revient sur ses pas après avoir entendu les coups de feu, arrive sur les lieux. Une nouvelle altercation éclate avec l’Argentin pourtant blessé. L’ancien membre des forces spéciales de l’armée française tire à son tour à bout portant, à six reprises en quatre secondes et s’enfuit lui aussi. Shaun Hegarty, qui n’est pas blessé, ne peut rien faire. Federico Aramburu est touché mortellement. Il laisse trois enfants orphelins.

Bouvier dément toute volonté de chasse à l’homme

Un an plus tard, les deux mis en cause contestent l’incrimination d’assassinat d'après l'enquête. Entendu à plusieurs reprises par le juge d’instruction Romain Bouvier dément toute volonté de chasse à l’homme après la bagarre au bar et explique qu’il est monté dans la jeep pour partir à la recherche de son ami.

Loïk Le Priol, entendu publiquement mercredi 17 mars par un juge JLD en vue de la prolongation de sa détention provisoire, nie également la préméditation et l’intention de tuer, ainsi que tout caractère politique lié à l’extrême-droite. Selon lui, ses tirs ont été avant tout une réaction de défense. À la barre il a fait part de ses "regrets immenses" pour la famille du rugbyman.

"Chacun se défend comme il veut et parfois comme il peut", réagit Yann Le Bras, l’avocat de la famille Aramburu auprès de RTL. "La question est de savoir qui cela convainc. Si c’est une action de défense il va falloir réécrire le code pénal mais aussi les élément matériels et techniques de ce dossier".

Dernier acte. Après les tirs Loïk Le Priol dissimule son arme derrière une pile du pont du Carrousel et quitte Paris. Romain Bouvier, qui a pris un chemin différent, garde la sienne. Il la fera jeter par un comparse tard dans un lac où elle sera ultérieurement retrouvée.

Quelques jours plus tard Loïk Le Priol est arrêté à la frontière hongroise alors qu’il s’apprête à passer en Ukraine "pour combattre et se sacrifier". Romain Bouvier, lui, est interpellé à Sablé-sur-Sarthe, alors qu’il vient d’utiliser sa carte bleue dans un hôtel. Les deux hommes sont alors mis en examen pour assassinat. À ce jour ils restent en détention provisoire. Lyson Rochemir, elle, a été remise en liberté sous contrôle judiciaire en décembre dernier.

"Blessures de guerre psychologiques", une expertise attendue

Lors de l’audience du 17 mars, Loïk Le Prïol, a mis en avant ses "blessures de guerre psychologiques" liées aux opérations auxquelles il a participé au Mali et au Sahel avec les forces spéciales françaises en 2014 et 2015, soulignant avoir été rapatrié en France sur instruction des médecins de l’armée.

La procureur a rappelé que le soldat avait au même moment été poursuivi pour avoir tabassé une prostituée dans un bar à Djibouti lors d’un quartier libre, procédure réglée par un arrangement financier. La bagarre "a pu réveiller un certain nombre de blessures anciennes d’un jeune commando parti combattre pour la France", a avancé son avocat Xavier Nogueras soulignant que Loïk Le Priol avait longtemps été suivi à l’hôpital militaire Percy.

Les résultats de l’expertise psychiatrique à laquelle l’ancien militaire doit être soumis, et qui n’a pas encore lieu, seront déterminants pour savoir si une éventuelle altération de son discernement au moment des faits est retenue.

Le "gentlemen fascistes"

Romain Bouvier, ancien étudiant en droit et fils de l’avocate parisienne Janine Bonaggiunta, spécialisée dans la défense des femmes battues, a rencontré Loïk Le Priol dans les années 2010 au sein du GUD où ils fréquentaient notamment Julien Rochedy; ancien responsable du Front national de la jeunesse.

Romain Bouvier, fondateur d’un cercle littéraire centré sur les écrivains nationalistes, a qualifié à plusieurs reprises leur tandem de "gentlemen fascistes", selon Streetpress. Fin 2022, déjà incarcérés dans le cadre de la mort de Federico Aramburu les deux gentlemen avaient comparu pour avoir passé à tabac et humilié un ancien camarade du GUD en 2015.

Bouvier a été condamné à trois ans de prison ferme et Le Priol a deux ans. Au cours de l’audience, sans être interrogé sur directement, Bouvier avait exprimé un profond repentir sur la mort de Federico Aramburu. Contactés par RTL, les avocats de Loik Le Priol, Romain Bouvier et Lyson Rochemir, Me Xavier Nogueras, Christian Saint-Palais et Florian Lastelle n’ont pas souhaité commenter ces informations.

Un hommage à Aramburu au Stade de France

Le ministère de l’intérieur, sollicité par RTL au sujet des deux suspects fichés S qui étaient en contact malgré leur contrôle judiciaire et de leurs liens avec un officier de police judiciaire, n’a pas souhaité s’exprimer.

Un hommage sera rendu le samedi 18 mars au Stade de France à l’occasion du match France-Pays de Galles du tournoi des Six Nations en présence de Cecilia Aramburu, la mère de Federico Martin, et de son épouse.

Le lendemain une plaque sera apposée sur le boulevard Saint-Germain en présence de la mairie de Paris, à l'endroit même où Federico Aramburu a perdu la vie.    

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