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ENQUÊTE RTL - Cette nouvelle génération de mineurs ultra-radicalisés qui inquiète la justice

Plus de la moitié des mis en cause dans des procédures terroristes depuis janvier 2023 ont moins de 18 ans. La propagande jihadiste est de retour en force sur les réseaux et attire de nouveau des mineurs dans ses filets.

Un jihadiste avec le drapeau de l'État islamique. (Illustration)

TERRORISME - Ce que l'on sait sur les projets d'attentats de mineurs radicalisés

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Thomas Prouteau - édité par Sylvain Zimmermann

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Le constat fait par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), chef de file du contre-terrorisme, est inquiétant. Depuis quelques mois, une nouvelle génération de mineurs français cède aux sirènes du groupe l’État islamique (EI) et d’al-Qaïda.

Ils ont entre 14 et 18 ans, ils étaient encore très jeunes au moment de la défaite de l’EI en Syrie en 2019, qui avait durablement affaibli la capacité d’embrigadement de l'organisation jihadiste et marqué un creux dans le recrutement en Europe des adolescents. Désormais, les mineurs représentent la majorité des mis en cause dans les procédures terroristes pour des projets d'action violente ouvertes par la justice. Dix entre eux ont été mis en examen pour association de malfaiteur terroriste criminelle depuis début 2023 d’après le PNAT, le parquet national antiterroriste.

Les chiffres restent encore modestes mais l’enjeu sécuritaire et judiciaire est important. Si l’on ne prend que le prisme de ce que les autorités considèrent comme des attentats déjoués - ce qui est loin d’être le cas de tous les "projets d’action violente" dont se saisit le PNAT - les trois attentats évités depuis début 2023 impliquent tous des mineurs. 

Dans deux cas ils sont les auteurs principaux présumés, dans le troisième cas c'est un très jeune majeur de 18 ans. L’un des projets visait l’ambassade d’Israël à Bruxelles, le deuxième un influenceur chrétien sur TikTok, le troisième une cible non déterminée mais avec des actes préparatoires explicites, selon une source judiciaire.

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Seraient-ils réellement passé à l’acte ? Les avocats des mis en cause affirment que non, c’est à présent aux juges du pôle antiterroriste de Paris de mener les investigations et de caractériser les faits.

Une atmosphère "extrêmement hostile à la France"

"Il y a une nouvelle génération, ce qui est assez logique, confirme une source au sein des services de renseignement. Il y a un renouveau des organisations terroristes en Syrie et en Irak, un effet galvanisant des succès des groupes djihadistes en Afrique et des talibans en Afghanistan, et des discours d’atmosphère extrêmement hostiles à la France et à la République."

Jean-François Ricard, procureur national antiterroriste, a abondé dans ce sens mardi 7 novembre sur RTL : "Effectivement depuis près de trois ans nous constatons une augmentation très sérieuse de la proportion de très jeunes majeurs ou de mineurs dans des projets d’action violente."

Le dynamisme de la jihadosphère

Selon la source au sein des renseignements, le retour massif de la propagande en ligne joue un rôle important : "La jihadosphère connaît un dynamisme certain depuis un an et demi, notamment la jihadosphère russophone qui touche plus particulièrement les jeunes d’origine tchétchène en France." Deux des trois dossiers d'attentats déjoués en 2023 impliquent d'ailleurs un suspect dont les parents sont nés dans la république russe de Tchétchénie. 

D'après les analystes du contreterrorisme, l’État islamique, qui a repris des couleurs au Proche-Orient, et Al-Qaïda, semblent avoir donné carte blanche à leurs centrales régionales pour communiquer et délivrer une propagande massive sur les réseaux.

Un nombre impressionnant d’échanges numériques

La dimension numérique de l’embrigadement des collégiens et lycéens interpelés ces derniers mois est particulièrement frappante dans un dossier révélé cet automne par Le Parisien. Dans cette affaire, deux mineurs radicalisés de Touraine, âgés de seulement 15 et 16 ans, ont été mis en examen fin août pour un projet d’attentat contre l’ambassade d’Israël à Bruxelles, en lien avec un jeune Belge incarcéré dans son propre pays.

La lecture du rapport d’enquête, auquel RTL a eu accès, est édifiante. Dans leurs téléphones, les policiers ont découvert un nombre impressionnant d’échanges numériques sur des groupes de discussions consacrés à l’État islamique et à leur plan d’attaque, notamment sur les applications Olvid et Télégram.

Le plus jeune des deux était particulièrement virulent et avait créé des groupes comme "Plan hack" pour pirater l’ambassade et récupérer ses plans, "Fabrication d’outils de chasse" où il communiquait la recette du TATP, l’explosif le plus utilisé par les jihadistes, ainsi qu'un groupe consacré à l’acquisition d’armes à feu. 

ils se mettent en scène comme des terroristes où ils doivent tuer le maximum de Juifs

Alexandra Hawryliszyn, avocate

Les deux mineurs ont même mené des expériences de petits mélanges explosifs dans un parc de leur ville. Une démarche peu discrète qui a conduit à une première interpellation par des policiers de la BAC locale en avril et qui relativise quelque peu le sérieux de leur détermination. L’avocate du plus jeune, Alexandra Hawryliszyn, affirme que le projet était d’abord le fait de gamins qui se montent la tête sur Internet et qui ne seraient pas passés à l’acte - ce qui n’est pas l’analyse du PNAT à ce stade. La pénaliste se dit malgré tout stupéfaite par le niveau d’embrigadement numérique de son client.

"Ce que j’ai découvert dans ce dossier c’est qu’ils sont approchés aussi par le biais de jeux en ligne. Ils se mettent en scène comme des terroristes où ils doivent tuer le maximum de Juifs, relate l’avocate. Il n’y a rien de pire que l’ignorance [des ados] combinée à la haine, ça peut-être terrible."

Un autre projet d'action violente a conduit en juillet à l’interpellation d’un jeune majeur de 18 ans, Romain T., né en France de parents Tchétchènes, suivie par celle d’un mineur de 16 ans en octobre. D’après les informations de RTL, c’est un influenceur chrétien qui délivre des cours de religion sur TikTok qui était ciblé, pour de prétendus blasphèmes contre l’islam.

Appel au meurtre

Le principal suspect, le jeune majeur, déjà fiché S pour propos radicaux tenus dans son lycée et suivi de près par la DGSI, a été interpellé à proximité immédiate du domicile de la victime en "tenue de ninja" d’après une source proche de l’enquête. Il ne portait pas d’armes et a certifié qu’il ne voulait que "donner une leçon" au prédicateur chrétien. Dans les échanges numériques des adolescents pourtant, c’est un appel au meurtre qui circulait. L'enquête initiale a aussi montré des points de contacts numériques avec les mineurs du dossier de Touraine. 

L’avocat Jean-Baptiste Riolacci défend deux des mis en cause dans ces dossiers. Il constate lui aussi l’effet aspirant de la Toile et des forums de discussion jihadistes : "Ce sont des vidéos qui sont toujours ultra-violentes, il va y avoir des scènes de décapitation, il va y avoir des chants guerriers qu’ils vont assimiler, et cette consommation devient rapidement morbide, presque addictive et va se doubler d’échanges galvanisants où ils vont mutuellement s’inciter à fantasmer divers passages du type 'si on allait poser une bombe ici', et ça va retomber tout de suite après."

Moins l’allégeance directe à Daech

L’Éducation nationale semble avoir joué son rôle et très rapidement signalé les propos radicaux dans ces deux dossiers, ce qui a entraîné une prise en charge par la DGSI. 

La place tenue par les familles est, elle, très différente selon les mis en cause. Certaines comportent plusieurs membres eux même radicalisés, comme dans le cas de l'assaillant d'Arras Mohamed Mogouchkov, l'étudiant de 20 ans originaire du Caucase qui a assassiné le professeur de français Dominique Bernard début octobre. D’autres, comme la famille de Romain T., venue de la même région, est parfaitement intégrée en France. 

Idem pour les profils psychologiques des jeunes concernés : on trouve aussi bien de bons élèves, en apparence sans problème, que des mineurs dépressifs ou désocialisés. Autre point important enfin, selon la DGSI, c’est moins l’allégeance directe à Daech - même si certains la formule - qu’une sensibilité à des théories qualifiant la France d’islamophobe ainsi qu'une certaine atmosphère radicale qui attire désormais certains jeunes en perte de repères ou en quête d’identité.

Un enjeu crucial pour ces mineurs, la plupart mis en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle et placés en détention provisoire, c’est leur prise en charge après leur interpellation. "Si on se dit qu’à 15 ans c’est foutu on se trompe, résume l’avocate Alexandra Hawryliszyn. Dans un mois ou dans dix ans, ces mineurs seront libérés."

Son client de 15 ans affirme avoir commencé en prison son désengagement de la violence jihadiste grâce à sa famille, très investie, mais aussi aux éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Également grâce à un islamologue avec qui il apprend désormais le vrai sens des textes de l’Islam.

Renforcer la prise en charge éducative de ces adolescents jihadistes

Dans les cas les moins graves, où lorsque la détention a déjà duré plusieurs mois, l'avocat Jean-Baptiste Riolacci souligne l’existence de possibilité de placement par les magistrats dans des structures semi-fermées comme le DASI, où les mineurs sont placés sous contrôle judiciaire.

Encadrés par plusieurs éducateurs, d’un professeur de l’Éducation nationale, d’un sociologue des religions et d’un psychologue, le mineur est d’abord et avant tout isolé de son milieu et des facteurs potentiels de radicalisation. Pour Jean-Baptiste Riolacci, il faut impérativement renforcer la prise en charge éducative de ces adolescents jihadistes

Il faut aussi privilégier les solutions de sorties de prison, elles existent

Jean-Baptiste Riolacci, avocat

"La tentation c’est celle d’un enfermement pur, mais ça ne va pas rendre les mineurs meilleurs et plus aptes à se réinsérer surtout s’il s’agit d’un enfermement long, donc quand ils vont sortir ça va être encore pire. On peut avoir un enfermement, surtout quand il y un danger au départ, mais il faut aussi privilégier les solutions de sorties, elles existent."

Au regard de cette nouvelle génération de mineurs jihadistes, le sujet complexe de leur désengagement de la radicalité devrait logiquement revenir sous les feux de l’actualité.

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