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Des gendarmes bloquent la route menant à la scène où s'est déroulée la tuerie de Chevaline le 5 septembre 2012 (image d'illustration).
Crédit : JEAN-PIERRE CLATOT / AFP
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Le 12 janvier 2022, lorsque les gendarmes de la section de recherches de Chambéry entament la garde à vue du motard passé sur la route forestière de Chevaline le jour de la tuerie, presque dix ans plus tôt, ils ont un problème à résoudre.
Le Lyonnais, identifié depuis 2015 et déjà entendu à plusieurs reprises, notamment lors de la remise en situation générale de septembre 2021, n’a absolument pas le profil d’un tueur.
Mais certains des scénarios qui s'évertuent à faire coller les déclarations des différents témoins et leurs heures de passage sur le parking du Martinet, où un cycliste savoyard et trois membres d’une famille britannique ont été découverts criblés de balles, le désigne comme possible auteur, ou à minima comme spectateur de la tuerie, eu égard à leurs estimations temporelles.
Les enquêteurs veulent en avoir le cœur net. Dès les premières minutes, le motard vitupère, dénonce une "situation abusive", une "violence" incompréhensible et assène : "Je n’ai jamais tenu un pistolet de ma vie, ça fait des années que vous enquêtez sur moi, c’est incroyable de me faire subir ça".
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Le 5 septembre 2012, le chef d’entreprise est venu faire un baptême de deltaplane à Doussard, juste à côté de Chevaline, ce qui est établi par l’enquête. Selon son récit, il s’est posé vers 15h10 et a repris sa moto pour rentrer en passant par les petites routes, un peu au hasard.
Ce qui l’a conduit quelques minutes plus tard sur la route forestière de la Combe d’Ire, le lieu du massacre. Depuis 2015, il répète la même chose, il n’a rien vu, et n'a entendu aucun tir : "C’est simple comme histoire, je me suis cassé le nez dans un cul-de-sac où des forestiers m'ont demandé de faire demi-tour, je suis rentré chez moi et depuis c'est le cauchemar".
Un ton caractéristique de ses auditions que les enquêteurs qualifient de "vides", sur une synthèse, décrivant un "individu peu enclin à aider nos services". Le motard a beau chercher, il ne se souvient pas de certains témoins qu’il a forcément croisés à la descente. Pourtant, le "time laps" de la tuerie, comme le désignent les enquêteurs, est ultraserré.
À 15h28, le cycliste Sylvain Mollier, qui gravit la route forestière, reçoit un appel de son ex-épouse. L’appel se termine à 15h29. Vers 15h40, un autre cycliste, premier arrivé sur la scène de crime, découvre son cadavre sur le parking dit du Martinet, non loin de son vélo à terre, ainsi que la BMW de la famille al-Hilli, moteur en marche, trois corps criblés de balles à l’intérieur.
Une petite fille blessée git à côté de la voiture. Personne sur le parking. Hors couverture réseau, le cycliste redescend prévenir les secours. Juste avant la tuerie, deux autres témoins, deux agents de l’ONF, expliqueront avoir croisé un motard à quelques centaines de mètres sur la même route, au-dessus du parking, vers 15h24, et lui avoir demandé de faire demi-tour, car l’itinéraire est interdit.
Un des agents témoigne avoir vu une dernière fois le motard dans son rétroviseur au niveau du parking du Martinet, vers 15h26. Du fait de ce positionnement très précis, les enquêteurs qui font face au motard gardé à vue indiquent d’emblée qu’ils ne peuvent se contenter de "non-réponses".
Pourtant, au lieu de partir bille en tête sur le timing de l’après-midi du 5 septembre 2012, ils posent de très longues questions sur sa vie privée, son rapport avec ses enfants, sa vie professionnelle, ou sa perception de son propre caractère, ce qui agace le gardé à vue "j’ai l’impression d’être chez le psy".
Ce qu’il ne sait pas, c'est que les caméras des pro de l’analyse comportementale de la gendarmerie le filment en direct, et que l’ordre des questions a aussi été choisi en fonction de leur stratégie pour jauger la sincérité du motard. Patiemment, les enquêteurs déroulent.
La relation aux armes du quadragénaire, "aucune" sauf "à la fête foraine". Son habitude de conduire sa moto "à l’azimut" en se fiant au soleil lors des jours de "balade" comme c’était le cas le 5 septembre 2012, avec cette contradiction, qu’il a fini par prendre les autoroutes pour retourner à Lyon. La raison pour laquelle le motard n’a pas vu le panneau à l’entrée de la route forestière signalant l’interdiction aux véhicules à partir du parking du Martinet, "j’étais en mode dilettante, encore sur mon petit nuage" après le deltaplane.
Le motard a réponse à tout, mais cela n’enlève son principal problème : le cycliste néo-zélandais qui a découvert les corps affirme l’avoir croisé 250 mètres en contrebas du parking, ce qui signifie qu’il était forcément sur les lieux au moment de la tuerie.
Face aux enquêteurs, le motard conteste le témoignage et le timing, "il y a quelque chose qui ne colle pas, c'est impossible. Soit c'est lui qui les a tués, soit vous vous êtes trompé, soit le témoin s'est trompé. Il y a un souci quelque part".
Les enquêteurs multiplient les questions en intégrant les heures de passages, ce qui colle avec sa version et les incohérences. Au soir du premier jour, le motard lâche : "Je ne comprends pas, je n’y comprends plus rien, je souhaiterais qu’on en reste là, je souhaite garder le silence".
Le lendemain, la garde à vue reprend sur le même mode : nouveau timing, nouveau "je ne comprends pas". Le motard se dit "paniqué", lance : "Je suis un mec lambda que vous impliquez dans un truc monstrueux".
Plus l’interrogatoire avance, plus les enquêteurs échouent à obtenir du chef d’entreprise des explications aux contradictions temporelles qu’ils n’arrivent pas eux-mêmes à résoudre. Mais le Lyonnais reste inébranlable, ça ne colle pas, il est innocent, sa garde à vue le dépasse.
Une autre zone d’ombre que les gendarmes tentent d’éclairer, c’est leur incompréhension sur le fait que le motard ne s’est jamais manifesté avant 2015, malgré le "battage médiatique" sur la tuerie et le portrait-robot d’un homme casqué diffusé dans toute la presse. C’est la téléphonie qui a permis de l’identifier.
Là encore, les enquêteurs font face à un mur de réponses laconiques : "Je n’ai pas fait le lien avec ma présence", "j’ai fait le lien avec le secteur, mais je n’ai pas réalisé que j’étais près".
Le motard fini par concéder avoir fait "l’autruche" face à la tuerie, mais sans vraiment argumenter. Un enquêteur remarque : "C'est peut-être aussi ce qui explique votre présence aujourd'hui, si vous vous étiez manifesté plus rapidement, cela aurait peut-être permis une autre orientation d'enquête".
Arrivé à la dernière après-midi de garde à vue, le ton va changer soudainement. Les gendarmes rappellent l’équation globale, un profil "très éloigné de l’auteur d’une tuerie", mais des éléments d’enquête qui justifiaient une garde à vue. "Le comprenez-vous", demandent les gendarmes ? "Oui, par rapport à vos hypothèses de timing, je le comprends".
Et soudain, "M.. Êtes-vous l’auteur de la tuerie de Chevaline ?". "Non". Les enquêteurs sont allés au bout de qui était possible. Les incohérences et les réponses parcellaires du motard ne résolvent pas toutes les contradictions, loin de là, mais son comportement cohérent en garde à vue, les écoutes de ses proches faites au moment de la reconstitution, son profil, le simple fait qu’il ait fait un baptême en deltaplane dont il était impossible de prévoir l’heure exacte d’atterrissage, rien ne concorde avec un suspect potentiel.
Dans un PV de synthèse daté de quelques semaines après la garde à vue, les enquêteurs soulignent qu’ils ont désormais une vision "probante" de la non-implication du motard et que la garde à vue était "la seule manière d’arriver à cette fin".
"Sauf élément nouveau parvenant à notre connaissance, cet axe de réflexion est définitivement fermé", conclut le PV. Les nouveaux scénarios élaborés par les enquêteurs retiennent désormais la même hypothèse, le cycliste néo-zélandais s’est trompé dans son témoignage, il a croisé le motard beaucoup plus loin du parking, à 1,3 km du lieu de la tuerie.
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