Ce lundi 3 juillet 2000 au matin, Louise Phillips, ressortissante britannique de 21 ans, entre dans le commissariat du quartier de Roppongi, à Tokyo. Elle vient signaler la disparition de sa meilleure amie, Lucie Blackman, également âgée de 21 ans. Elle explique que samedi 1er juillet, dans l'après-midi, Lucie a quitté l'appartement qu'elles partagent pour aller prendre un verre avec un Japonais qu'elle avait rencontré, mais rien depuis un coup de fil à 19 heures.
Louise se garde bien de dire que sa copine disparue, et elle-même, sont hôtesses dans des clubs de nuit, dans ce même quartier de Roppongi, le quartier chaud. Les deux Anglaises n'ont pas de visa de travail, juste des visas touristiques de 90 jours, tout comme la grande majorité des étrangères qui travaillent dans ce qu'on appelle au Japon le "commerce de l'eau". Une terminologie qui cache les activités plus ou moins licites du monde de la nuit.
Dans l'après-midi, Louise se rend à l'Ambassade de Grande-Bretagne. Cette fois, elle ne cherche pas à cacher la vérité, et indique que Lucie travaille au Casablanca. Samedi, elle a accepté un rendez-vous en dehors de ses heures de service.
En quittant l'Ambassade, Louise reçoit un coup de fil. Un homme qui parle en mauvais anglais assure que Lucie va bien, mais qu'elle ne rentrera pas avant au moins une semaine.
L'enquête se concentre autour du club Casanova, où Lucie avait quelques clients attitrés avec qui elle passait son temps à discuter et à boire des verres.
Une hôtesse anglaise livre un témoignage instructif, elle se souvient d'un client qui insistait lourdement pour l'emmener dans sa résidence du bord de mer, ce qu'elle a accepté. Elle ne se souvient de rien si ce n'est de s'être réveillée le lendemain et avoir retrouvé ses habits nettoyés. L'homme, la quarantaine, très bien habillé, lui a dit qu'elle avait été malade.
Une Canadienne raconte la même histoire. Elle a bu un vin spécial venu des Philippines, elle a sombré dans une espèce d'état comateux. Deux autres jeunes femmes décrivent des scènes identiques, toujours en compagnie de ce mystérieux client. L'une d'elles dit avoir aperçu une caméra qui la filmait avant de s'endormir.
Un mois après la disparition, une lettre signée Lucie Blackman attire l'attention des autorités. Il y est inscrit : "Laissez-moi tranquille, je fais ce que je veux". Mais il est rapidement établi qu'il s'agit d'un faux. Sept autres lettres vont suivre, dont l'une renfermant des milliers de yens, l'équivalent de 11.000 euros, pour rembourser les dettes de Lucie, des empreintes sont relevées.
La police travaille sur les communications émises depuis le portable de la disparue, et la téléphonie finit par parler. Un lot de 70 téléphones jetables achetés par un seul client sous un faux nom est identifié. Parmi les portables activés, un l'a été par un individu déjà connu pour agressions sexuelles. Le 12 octobre 2000, Joji Obara, 48 ans, est interpellé en bas de son appartement, tout près du quartier de Roppongi.
Il n'est pas du tout exclu que Joji Obara a bénéficié de complicités
Richard Werly
"Dans ces quartiers
chauds, la police japonaise sait tout. Car il y a ce pacte avec la mafia, explique Richard Werly, journaliste pour Le Temps. Les Yakuzas contrôlent très étroitement les cabarets. Ils savent très exactement qui
sont les clients, surtout quand ces clients viennent très régulièrement. Ce qui
était le cas de ce Japonais d’origine coréenne. Donc la police japonaise a tous
les éléments pour chercher les responsables. Ils mettent du temps parce qu’ils
détestent être sous pression des étrangers et parce qu’il y a des intérêts
derrière."
Selon le journaliste, "il n’est pas du tout exclu que Joji Obara a bénéficié de complicités" dans cette affaire.
Ses résidences sont perquisitionnées. On retrouve du chloroforme, des bouteilles de GHB, et des vidéos. Au sujet de Lucie Blackman, il dit l'avoir rencontrée une seule fois. Le 8 février 2001, des fouilles sont en cours autour de la Zushi Marina, l'adresse de bord de mer de Obara. À 200 mètres de l'immeuble, les enquêteurs découvrent une cavité rocheuse. En creusant le sable, un sac-poubelle apparait. Il renferme un bras humain, ainsi que deux pieds. Le torse, puis la tête plongée dans un bloc de béton sont découverts à leur tour. L'expertise médico-légale indique qu'il s'agit bien du corps démembré de Lucie.
Le 6 avril 2001, Joji Obara est officiellement inculpé pour enlèvement sur la personne de Lucie Blackman, de viol ayant conduit à sa mort et de dissimulation du corps. Mais le principal suspect reste sur ses positions. Un an après les faits, son procès commence. Le 24 avril 2007, Joji Obara est acquitté du meurtre de Lucie. Il est cependant condamné à la perpétuité pour huit viols et un meurtre. Selon le juge, il n'y a pas de preuves directes, notamment de traces ADN.
- Richard Werly, journaliste pour Le Temps. Ancien correspondant à Tokyo.
- Richard Lloyd Parry, rédacteur en chef du "Times" en Asie. Il est auteur du livre Dévorer les ténèbres aux éditions Sonatine.
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