Toute l'Europe se met au patriotisme économique, même l'Allemagne. Le gouvernement fédéral vient de prendre une participation de 25% dans une ancienne filiale d'Airbus spécialisée dans l'industrie de défense, Hensoldt. Objectif : contrer une éventuelle acquisition étrangère, et chinoise en particulier.
C'est un revirement complet de la part de Berlin, qui considérait jusqu'ici que ce type d'intervention était contraire à l'intérêt économique, et qu'il était réservé aux Français. Début décembre, le gouvernement allemand avait aussi mis son veto sur le rachat d'une entreprise spécialisée dans les télécoms, IMST. Celle-ci devait être reprise par un groupe chinois d'aéronautique et de défense. Il s'agissait, selon Berlin, de se protéger contre des "dangers pour l'ordre public et la sécurité".
Ce changement d'attitude s'explique par un traumatisme en Allemagne : la vente subreptice d'un des leaders mondiaux de la robotique et de l'automatisme, Kuka, à des Chinois en 2016. Kuka dont le patron allemand vient d'être viré par les nouveaux propriétaires. Du coup, les autorités se sont organisées. Une loi a été votée pour soumettre à autorisation gouvernementale tout rachat par des intérêts extra-européens, si la prise de participation est supérieure à 10%, dans les secteurs stratégiques.
Les Britanniques sont en train d'adopter une législation similaire pour 17 domaines stratégiques dont l'intelligence artificielle, la robotique et l'industrie spatiale. De son côté, l'Europe s'est dotée il y a quelques mois d'un réseau se surveillance des acquisitions étrangères dans les différents pays, afin de repérer les éventuelles acquisitions suspectes.
La Chine est le pays qui inquiète le plus car les Chinois sont les plus actifs. Ils cherchent en effet à acquérir les technologiques qui leur manquent. De 2007 à 2017, la Chine a multiplié par cinq le nombre d'entreprises qu'elle contrôle en Europe, qui est passé à 28.000. Mais il n'y a pas qu'elle. En mars dernier, Donald Trump avait tenté de faire racheter par des intérêts américains Curevac, une start-up de biotechnologie allemande prometteuse dans ses recherches sur le vaccin. L'affaire avait mobilisé jusqu'à Angela Merkel.
La montée du nationalisme économique, universelle, fait que les tentatives de prédation se multiplient. Il y a vingt ans, on considérait que la nationalité d'une entreprise n'avait guère d'importance. On réalise désormais, encore plus avec la crise sanitaire, que ça n'est pas anodin, car une entreprise doit parfois choisir entre des intérêts contradictoires. Elle aura souvent tendance à faire passer en priorité ceux de son pays d'origine.
Un dispositif de contrôle similaire existe en France. L'Hexagone a été parmi les pionniers en Europe, avec un décret qui date de Dominique de Villepin, en 2005. Celui-ci soumettait certains rachats à l'approbation des autorités, sur le modèle de ce que faisaient déjà les Américains depuis longtemps. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif en 2014, avait élargi les secteurs concernés à l'énergie, l'eau, les transports, les télécoms et la santé.
Cinq ans plus tard, Bruno Le Maire, actuel ministre à Bercy, a abaissé le seuil de déclenchement de la procédure à deux reprises, pour qu'il soit fixé à 10% du capital. Toute la question est évidemment de définir le stratégique. Le premier décret Villepin avait été pris à la suite de rumeurs d'une prise de contrôle de Danone par l'américain Pepsi cola. Même si la cause était bonne, dire que le yaourt est un produit stratégique, cela se discute.
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