1. Accueil
  2. Actu
  3. Eco Conso
  4. ENQUÊTE RTL - Où sont passés les stocks de Doliprane ? Les pharmaciens demandent de la transparence
7 min de lecture

ENQUÊTE RTL - Où sont passés les stocks de Doliprane ? Les pharmaciens demandent de la transparence

Alors que les laboratoires ont annoncé des chiffres records de production en 2022, les pharmaciens constatent toujours des ruptures de stock. Ils demandent plus de transparence dans la chaine du médicament. RTL a enquêté sur le médicament le plus consommé par les Français.

Des boîtes de doliprane dans un conteneur d'une usine Sanofi-Aventis à Lisieux le 28 octobre 2009 (illustration)
Crédit : MYCHELE DANIAU / AFP
ENQUÊTE RTL - Pourquoi la production de Doliprane est en hausse malgré la pénurie ?
00:03:42
Virginie Garin - édité par Joanna Wadel
Je m'abonne à la newsletter « Économie »

La scène se déroule lors d'une réunion à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), le 19 janvier. Autour de la table, des représentants des fabricants, des associations de patients et des pharmaciens. Pierre-Olivier Variot, le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), prend la parole et met les pieds dans le plat. 

"Il y a un manque de transparence. Nous ne savons pas où sont les médicaments. Vous nous dîtes que vous n'avez jamais autant produit. Ce n'est pas ce que vous ressentons dans nos officines". Pierre-Olivier Variot s'adresse au représentant du laboratoire Sanofi, le fabricant du Doliprane. 

Puis il demande à l'ANSM plus de transparence dans la filière. "Quand il y a une rupture de stock, il devrait être possible de remonter au grossiste puis au laboratoire, afin de savoir ce qui s'est passé. Il faut croiser les chiffres de production que l'on nous donne avec ceux des livraisons en pharmacie". 

La formule pédiatrique est celle qui manque le plus

Car en début de semaine, le lundi 16 janvier, une information plutôt surprenante était révélée : alors que la France n'a jamais autant manqué de Doliprane dans les officines, Sanofi expliquait qu'il n'en avait jamais autant produit. Le laboratoire annonçait des chiffres records et historiquement hauts depuis 1964, depuis que le Doliprane existe : 424 millions de boîtes ont été fabriquées en 2022, ce qui représente 20% de plus qu'il y a 2 ans. 

À écouter aussi

Pour la formule pédiatrique, le sirop à la fraise dans la boîte rose (celui qui manque le plus), la hausse annoncée était même de 49%. Doliprane est la marque commerciale de Sanofi, mais le principe actif est le paracétamol. Et le marché est gigantesque. En France, le paracétamol représente 22% des ventes de médicaments. 

Un autre laboratoire, UPSA, produit de son côté le Dafalgan et l'Efferalgan dans son usine d'Agen. UPSA annonce avoir augmenté sa production de 290 millions de boites en 2021 à 345 millions l'an dernier. Les deux poids lourds se partagent l'essentiel du marché. Toutes présentations confondues (cachets, sirops, sachats...), Sanofi représente 70% des ventes et même 95% des ventes pour la formule pédiatrique.

Aujourd'hui, on n'a pas de difficulté à être approvisionnés en principe actif

Laure de Chertier, directrice de l'accès au marché d'UPSA.

Si le Doliprane ou le Dafalgan sont fabriqués en France, les laboratoires ont besoin d'importer le principe actif, le paracétamol, celui qui nous soigne. Il vient à 100% de l'étranger : de Chine, des États-Unis, de Turquie et d'Inde. Malgré les tensions sur le marché mondial liées au Covid, les laboratoires disent n'avoir eu pourtant aucun mal à se faire livrer ces deniers mois. 

"On a diversifié nos sources et on s'approvisionne à 85% aux États-Unis et une petite partie en Chine, explique Laure Lechertier, directrice de l'accès au marché d'UPSA. Aujourd'hui, nous n'avons aucune difficulté à être approvisionnés en principe actif". Laure Lechertier tient à rassurer sur la capacité de son laboratoire à produire : "Nos équipes ont été mobilisées 24h/24, 7j/7 pour répondre à l'augmentation de la demande". 

Ces chiffres records de production des laboratoires sont contre-intuitifs, car dès juin 2021 Emmanuel Macron lui-même alertait sur les risques de dépendre des importations de principe actif et la nécessité de relocaliser une partie de la production. Le président de la République annonçait la construction d'une usine de paracétamol français à Roussillon en Isère, soutenue par l'État. 

Une usine de paracétamol vraiment utile?

Le projet, orchestré par le laboratoire Seqens, n'en est pour l'instant qu'au stade du permis de construire, et l'usine ne commencera pas à produire avant 2026. Mais elle n'aurait de toute façon pas servi à résoudre la question des problèmes de stocks de ces derniers mois, puisque les laboratoires expliquent n'avoir eu aucun problème d'approvisionnement en paracétamol.

L'économiste et spécialiste des questions de santé Frédéric Bizard s'interroge d'ailleurs sur l'utilité "de dépenser 100 millions d'euros d'argent public dans cette usine" en Isère. "L'argent public est rare et il aurait peut-être été plus judicieux de l'investir dans des biomédicaments innovants, comme la technologie à ARN, plutôt que dans un vieux médicament facile à produire dans des pays où les coûts de production sont bien moins élevés". 

Même questionnement d'une source à l'ANSM, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. "L'annonce de la construction de cette usine n'était pas forcement la meilleure solution dans ce dossier du Doliprane. Il y a de fortes inquiétudes sur d'autres médicaments d'intérêt thérapeutique majeur comme les anti-cancéreux, les médicaments cardio-vasculaires ou du système nerveux pour lesquels la question d'une relocalisation de principes actifs semble plus prioritaire".  

L'épisode des masques au début du Covid

Du côté des pharmaciens, on considère qu'il est toujours mieux de ne pas dépendre des importations. Pierre-Olivier Variot rappelle l'épisode des masques au début du Covid. "La France en manquait. Il fallait les importer de Chine. On se les faisait piquer sur le tarmac des aéroports par d'autres pays. Personne n'en fabriquait en France. En cas de nouvelle crise sanitaire, produire une partie du paracétamol chez nous sera quand même plus simple".  

Pourquoi donc, alors que la production de paracétamol bat des records, la France connait-elle toujours des ruptures de stocks de paracétamol dans certaines pharmacies ? Où sont donc passées les boîtes ? Une partie de la production seraient dans nos armoires à pharmacie. Les laboratoires expliquent que c'est la demande qui a été très forte, avec les trois épidémies de Covid, bronchiolite et grippe. 

Effet "huile de tournesol"

C'est d'ailleurs pour cette raison qu'en juillet dernier, l'agence du médicament, l'ANSM, a restreint les ventes en pharmacies : pas plus de deux boîtes sans ordonnance. Des contingents ont aussi été fixés pour les pharmaciens et les médecins ont été priés de limiter leurs prescriptions. Par ailleurs, selon les laboratoires, il y aurait une sorte d'effet "huile de tournesol" : dès que l'on parle du problème, les ventes s'affolent et les Français font des stocks chez eux.

Cependant, d'autres questions se posent. Si les pharmaciens confirment la forte hausse de la demande cette année (+47%), c'est par rapport à l'année dernière, année où au contraire les ventes avaient beaucoup baissé. Avec les gestes barrières, on était moins malade. La hausse de la demande, certes forte mais peut-être prévisible, n'expliquerait pas tout. Des sources syndicales dans le secteur de la pharmacie se demandent si une partie de ces millions de boîtes supplémentaires produites n'auraient pas été vendues à l'étranger. 

Elles auraient été exportées vers des pays où les prix sont libres et plus élevés qu'en France. Les exportations parallèles sont tout à fait légales. Les grossistes ont le droit de vendre à l'étranger. Le marché est libre. Mais en pleine crise COVID, le paracétamol représente un vrai enjeu sanitaire. Le gouvernement surveille le problème de près. En juillet dernier, l'ANSM avait d'ailleurs interdit les exportations aux grossistes.

Des prix des médicaments bien trop bas

"Les prix sont trop bas en France, explique Pierre-Olivier Variot. Et cela concerne bien d'autres médicaments qui sont désormais régulièrement en rupture dans nos pharmacies. Les fabricants ou les grossistes sont tentés de les vendre dans les pays où ils rapportent plus. 

C'est pour cette raison qu'en Allemagne, le ministre de la Santé vient de demander une hausse de 50% des prix de tous les médicaments pédiatriques. Le Portugal envisage la même chose. Pour que les laboratoires n'aillent pas les commercialiser ailleurs".       

Les virus de l'hiver, ça se prévoit

Les pharmaciens, les associations de patients comme les médecins, demandent de réorganiser la filière. Ils proposent aussi qu'il y ait en France de vraies prévisions stratégiques de production des médicaments. "Les épidémies hivernales peuvent se prévoir", explique Frédéric Bizard. 

"Ce qui visiblement n'a pas été le cas. Quand la consommation a baissé en 2020, les laboratoires ont réduit leur production et ils n'ont pas su la relancer à temps". C'est aussi l'avis du ministre de la Santé François Braun. Le 5 janvier, interrogé sur France 2, il pointait du doigt les laboratoires qui "n'ont pas su anticiper les phénomènes grippaux". 

Le Ministre promet cependant un prochain retour à la normale, car les industriels "réagissent" et "font tourner leurs chaines 24h/24". Mais François Braun ne donne aucune date. "Il y a le retour à la normale dans les stocks et dans les pharmacies, qui sont deux choses différentes. Nous sommes en  train de regarder de près les différences".

Pas d'amélioration pour l'instant

Le 19 janvier, lors de la réunion d'information à l'ANSM avec les professionnels de santé et les associations de patients, l'état des stocks de paracétamol ne montrait pas d'amélioration. Le sirop pédiatrique et certains suppositoires sont toujours en rupture, les comprimés de 1.000 mg en forte tension. En revanche, d'autres dosages (sachets de 250 ou 300 mg ou suppositoires 1.000 mg) ne connaissent pas de problèmes.  
  
C'est pourquoi si vous ne trouvez pas votre médicament habituel, demandez à votre pharmacien. Quand il n'y a pas de Doliprane, il y a du Dafalgan et vice versa. Pour les enfants, s'il n'y a pas de sirop, il y a toujours les suppositoires. Pas besoin de faire de stocks chez vous. 

Les trois épidémies de l'hiver sont en train de reculer. La demande de paracétamol devrait baisser. Grâce à la hausse de la production, au contingentement dans les pharmacies et la fin des exportations, la situation devrait finir par s'améliorer.  

La rédaction vous recommande

L’actualité par la rédaction de RTL dans votre boîte mail.

Grâce à votre compte RTL abonnez-vous à la newsletter RTL info pour suivre toute l'actualité au quotidien

S’abonner à la Newsletter RTL Info
En Direct
/

Bienvenue sur RTL

Ne manquez rien de l'actualité en activant les notifications sur votre navigateur

Cliquez sur “Autoriser” pour poursuivre votre navigation en recevant des notifications. Vous recevrez ponctuellement sous forme de notifciation des actualités RTL. Pour vous désabonner, modifier vos préférences, rendez-vous à tout moment dans le centre de notification de votre équipement.

Bienvenue sur RTL

Rejoignez la communauté RTL, RTL2 et Fun Radio pour profiter du meilleur de la radio

Je crée mon compte