La scène se déroule lors d'une réunion à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), le 19 janvier. Autour de la table, des représentants des fabricants, des associations de patients et des pharmaciens. Pierre-Olivier Variot, le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), prend la parole et met les pieds dans le plat.
"Il y a un manque de transparence. Nous ne savons pas où sont les médicaments. Vous nous dîtes que vous n'avez jamais autant produit. Ce n'est pas ce que vous ressentons dans nos officines". Pierre-Olivier Variot s'adresse au représentant du laboratoire Sanofi, le fabricant du Doliprane.
Puis il demande à l'ANSM plus de transparence dans la filière. "Quand il y a une rupture de stock, il devrait être possible de remonter au grossiste puis au laboratoire, afin de savoir ce qui s'est passé. Il faut croiser les chiffres de production que l'on nous donne avec ceux des livraisons en pharmacie".
Car en début de semaine, le lundi 16 janvier, une information plutôt surprenante était révélée : alors que la France n'a jamais autant manqué de Doliprane dans les officines, Sanofi expliquait qu'il n'en avait jamais autant produit. Le laboratoire annonçait des chiffres records et historiquement hauts depuis 1964, depuis que le Doliprane existe : 424 millions de boîtes ont été fabriquées en 2022, ce qui représente 20% de plus qu'il y a 2 ans.
Pour la formule pédiatrique, le sirop à la fraise dans la boîte rose (celui qui manque le plus), la hausse annoncée était même de 49%. Doliprane est la marque commerciale de Sanofi, mais le principe actif est le paracétamol. Et le marché est gigantesque. En France, le paracétamol représente 22% des ventes de médicaments.
Un autre laboratoire, UPSA, produit de son côté le Dafalgan et l'Efferalgan dans son usine d'Agen. UPSA annonce avoir augmenté sa production de 290 millions de boites en 2021 à 345 millions l'an dernier. Les deux poids lourds se partagent l'essentiel du marché. Toutes présentations confondues (cachets, sirops, sachats...), Sanofi représente 70% des ventes et même 95% des ventes pour la formule pédiatrique.
Aujourd'hui, on n'a pas de difficulté à être approvisionnés en principe actif
Laure de Chertier, directrice de l'accès au marché d'UPSA.
Si le Doliprane ou le Dafalgan sont fabriqués en France, les laboratoires ont besoin d'importer le principe actif, le paracétamol, celui qui nous soigne. Il vient à 100% de l'étranger : de Chine, des États-Unis, de Turquie et d'Inde. Malgré les tensions sur le marché mondial liées au Covid, les laboratoires disent n'avoir eu pourtant aucun mal à se faire livrer ces deniers mois.
"On a diversifié nos sources et on s'approvisionne à 85% aux États-Unis et une petite partie en Chine, explique Laure Lechertier, directrice de l'accès au marché d'UPSA. Aujourd'hui, nous n'avons aucune difficulté à être approvisionnés en principe actif". Laure Lechertier tient à rassurer sur la capacité de son laboratoire à produire : "Nos équipes ont été mobilisées 24h/24, 7j/7 pour répondre à l'augmentation de la demande".
Ces chiffres records de production des laboratoires sont contre-intuitifs, car dès juin 2021 Emmanuel Macron lui-même alertait sur les risques de dépendre des importations de principe actif et la nécessité de relocaliser une partie de la production. Le président de la République annonçait la construction d'une usine de paracétamol français à Roussillon en Isère, soutenue par l'État.
Le projet, orchestré par le laboratoire Seqens, n'en est pour l'instant qu'au stade du permis de construire, et l'usine ne commencera pas à produire avant 2026. Mais elle n'aurait de toute façon pas servi à résoudre la question des problèmes de stocks de ces derniers mois, puisque les laboratoires expliquent n'avoir eu aucun problème d'approvisionnement en paracétamol.
L'économiste et spécialiste des questions de santé Frédéric Bizard s'interroge d'ailleurs sur l'utilité "de dépenser 100 millions d'euros d'argent public dans cette usine" en Isère. "L'argent public est rare et il aurait peut-être été plus judicieux de l'investir dans des biomédicaments innovants, comme la technologie à ARN, plutôt que dans un vieux médicament facile à produire dans des pays où les coûts de production sont bien moins élevés".
Même questionnement d'une source à l'ANSM, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. "L'annonce de la construction de cette usine n'était pas forcement la meilleu