Comment la France
se prépare aux vagues de libération de détenus condamnés pour terrorisme. Jusque
tard hier soir, lundi 22 juin, l'Assemblée nationale a débattu d'une
proposition de loi pour mieux les encadrer.
Le sujet obsède les autorités. Le procureur
national antiterroriste Jean-François Ricard n'hésite pas à parler d'une
"vraie peur s’agissant du devenir des dizaines de personnes très
dangereuses et dont les convictions sont absolues."
500 personnes sont aujourd'hui incarcérées pour
des faits de terrorisme. 43 doivent sortir d'ici la fin de l'année, 150 d'ici
2022. Pour le moment, ces premières vagues concernent deux types de
profils : les "velléitaires", ceux qui ont tenté de rejoindre la Syrie et l’Irak, mais qui n'y sont
pas parvenus, et puis les premiers départs, des hommes et des femmes qui
sont partis faire le jihad très tôt, avant les attentats de 2015, avant que la politique pénale ne soit durcie. À l'époque,
la justice était bien plus clémente, cinq, six, sept ans de prison.
Ces détenus arrivent donc à la fin de leur peine mais la France doit continuer d'avoir un œil sur eux estime Amin Boutaghane, le chef de l'Uclat, qui coordonne l’ensemble des services chargés de la lutte contre le terrorisme. "C'est parfois une réflexion qu'on nous fait, on nous dit, après tout, un terroriste il a payé, il faut peut-être lui laisser reconstruire sa vie. Très clairement, je pense que par rapport aux observations que l'on fait de la lutte antiterroriste aujourd'hui, il n'est pas possible de laisser quelqu'un dans la nature, qui sort de prison, condamné pour terrorisme. Par expérience et à l'âge que j'ai aujourd'hui -et j'ai un âge avancé- j'ai rencontré très peu de repentis".
Le nombre de personnes qui s'apprêtent à être libérées est tel que l'Uclat
produit des tableaux de sortie. Un échéancier géant mis à jour en permanence
par les services de renseignement, l'administration pénitentiaire et la
justice. Tous ces services se réunissent une fois par mois pour évoquer chaque
cas à venir.
Et c'est à ce moment-là que les services de renseignement se répartissent
les "cibles". Les condamnés pour terrorisme sont quasiment tous
attribués à la DGSI.
Personne ne disparait dans la nature. La DGSI suit aujourd'hui les allers et venues d'une soixantaine d'anciens détenus jihadistes de manière plus ou moins serrée, car suivre quelqu'un 24h sur 24 nécessite une vingtaine d'agents : "On ne peut pas mettre un policier derrière chaque sortant", souffle un haut cadre du renseignement.
Mais en plus de cette surveillance secrète, le ministère de l'Intérieur peut - tout à fait légalement - les obliger à pointer tous les jours au
commissariat, ou même les assigner à résidence. Cela s'appelle une
"micas", mais sa durée est limitée : un an maximum. Fin mars 2020, près de 80 % des micas en cours concernaient des sortants de prison.
Dernier point essentiel, ces sortants sont systématiquement inscrits au FIJAIT, le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes. La personne doit alors déclarer tout changement d’adresse ou déplacement à l’étranger.
La justice, une fois la peine purgée, peut encore
faire quelque chose. C'est précisément la mission des tout nouveaux juges d'application des
peines spécialisés. Après, dans les faits, les
détenus terroristes purgent très souvent leur peine jusqu'au bout. Ils n'ont
pas le droit aux réductions de peine automatiques, le bracelet électronique
n'est possible que s'il y a une libération anticipée. Or, justement, les
aménagements de peine restent très exceptionnels. Des peines mixtes, assorties de surmis mis à l'épreuve (SME) sont prononcées.
Mais un certain nombre de ces détenus sortent donc en "sortie sèche",
sans aucune mesure judiciaire. "On s'est coupé les bras", regrette
une spécialiste de ces suivis. Le législateur a donc dû innover. La loi permet
désormais des suivis post peine. 20 mesures de surveillance judiciaire sont actuellement en cours. Et pour les profils les plus lourds, les magistrats peuvent également prononcer un suivi socio-judiciaire, réservé auparavant avant aux délinquants sexuels. Une peine en hausse sensible ces derniers mois, 27 ont été prononcés depuis le 1er juillet 2019.
"Notre but, c'est qu'il n'y ait pas de trou dans la raquette, explique Jean Michel Bourlès, le procureur adjoint au PNAT, "le parquet national antiterroriste a décidé de requérir systématiquement le placement sous surveillance post-peine, lorsqu'une personne sort de prison, et qu'il n'y a pas d'autre mesure d'accompagnement le concernant".
Les sorties sont anticipées bien en amont, d'abord par une évaluation en
prison du détenu très poussée. Puis six mois avant, le conseiller d'insertion
et de probation prépare le passage de relais avec la détention. Dès que la
personne sort, elle est convoquée dans les 48h puis toutes les trois semaines.
L'attentat d'Osny, celui de Saint-Étienne-Du-Rouvray ont traumatisé
l'administration pénitentiaire. "À chaque attaque, on retient son souffle
(…) en se demandant si l'auteur n'est pas un sortant de prison", confirme
Claire Mérigonde, la directrice du Spip de Paris. Il ne faut pas trop y penser sinon on ne dort plus. Moi je trouve qu'honnêtement, on a décliné en un temps record, une politique pénitentiaire qui permet de multiplier les regards sur les intéressés. Bien sûr que le risque il est là, mais on s'est quand même dotés d'outils pour réduire ces risques".
À chaque attentat, la première pensée c'est : est-ce que c'était un suivi ? Il ne faut pas trop y penser sinon on ne dort plus.
Des binômes de soutien psychologue et éducateur permettent de renforcer le
suivi. Et pour ceux qui ont besoin d'un encadrement plus intensif, il existe des
centres qui allient réinsertion et déradicalisation avec un programme qui peut
aller jusque 20h par semaine.
Mais l'arsenal judiciaire reste insuffisant, tout simplement parce que ces suivis post-peine ne peuvent durer que sur un temps très réduit. Je vous donne un exemple :
six ans de prison, six mois de suivi, c'est peu.
C'est pour cette raison que les députés Yaël Braun-Pivet et Raphaël Gauvain
portent en ce moment une proposition de loi pour créer une nouvelle mesure de
sûreté renouvelable pendant 10 ans. Une sorte de "peine après la peine", s'inquiètent déjà les avocats.
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