Orthographe : faut-il écrire "avoir affaire" ou "avoir à faire" ?

On m’interroge sur la différence entre "avoir affaire" et "avoir à faire". À l’oral, aucune différence. C'est justement ce qui nous embrouille, une fois de plus : on prononce exactement de la même façon des locutions, des mots figés ensemble par l'usage, qui s’écrivent différemment... et qui n’ont pas le même sens.

Des exemples, peut-être ? J'en ai plein ! Je peux dire : "Si vous me piquez encore mon croissant, vous aurez affaire à moi". Ou, plus professionnel (mais moins croustillant) : "En cas de difficulté avec un fournisseur, il vaut mieux avoir affaire au patron qu’à un employé".

Mais ce n’est pas le même "avoir affaire/à faire" que si je dis "Maintenant, les amis, je dois vous laisser, j’ai à faire", ou "Fiche-moi le camp, tu n’as rien à faire ici !" Voilà les deux types d’avoir à faire/affaire qui enquiquinent Gérard, un fidèle auditeur de RTL.

Les deux formules ont bien la même origine

Dans le premier cas, quand "avoir affaire" est synonyme "d’être en rapport avec quelqu’un" (parfois avec une idée de menace, comme dans "vous aurez affaire à moi"), on écrit affaire un en seul mot (et toujours au singulier).

Et dans le deuxième cas, quand "avoir à faire" a le sens "d'avoir à accomplir" quelque chose, là c’est le verbe faire. Comme dans "j’ai un truc à faire". Pendant des siècles les deux graphies, les deux orthographes, ont été quasi interchangeables.

D'ailleurs, en réalité, les deux formules ont bien la même origine. Mon cher "Dictionnaire historique de la langue française" l’explique parfaitement : "Le nom affaire est formé de à (A avec accent) et du verbe faire". Affaire, c'est "ce qui est à faire".

À noter pour l’anecdote que le mot est entré en Français au masculin, et oui, UN affaire, ça c’était au XIIe siècle, puis, du XVIe au XVIIe siècle, les deux genres ont été admis (un ou une affaire), mais depuis le XVIIIe, plus le choix, finis les bons affaires, vous ne ferez plus que de bonnes affaires. Ou des mauvaises ! 

Une quantité de sens

Le mot "affaire" a quantité de sens aujourd’hui (une affaire d’honneur, touche pas à mes affaires, un chiffre d’affaires…). En Français du Québec, pour l’anecdote, une affaire (excusez mon accent québécois, il faut vraiment que j’aille faire un tour là-bas pour m’améliorer en français d’Amérique), une affaire donc, c’est "une chose quelconque", précise encore mon dico. Bref, un truc, un machin, "et l’on entend 'C’est quoi l’affaire ?' là où l’on dirait en France 'C’est quoi, le problème ?'".

Ah, et aussi : "c’t’affaire" est une version familière de "évidemment". Joli, non ? Quoi qu’il en soit, c’est bien le verbe faire qui a donné l’affaire... Faire, qui est issu du latin facere, qui à l’origine signifiait "placer, poser", et qui aujourd’hui est un des verbes qui ont le plus de sens différents en Français : faire sa valise, faire ses études, se faire plumer, faire froid, faire beau, faire soleil, faire des envieux, faire sa vie, faire des nouilles, faire du mal, faire le malin, se faire du blé, faire le Péloponnèse, faire la grève, faire la bringue ou faire dodo... C’est sans fin.

Le dictionnaire étymologique d’Alain Rey précise pour l’anecdote qu’un "fais dodo", en Louisiane, c’est "une soirée où l’on danse". Oui, si quelqu’un vous invite ce soir à un "fais dodo", c’est une soirée dansante (en Louisiane seulement, hein, attention). Bref on voit bien que, dans tous ces usages, faire est loin d’avoir toujours son sens premier du Petit Larousse actuel : "réaliser".

J'ai un truc pour vous aider à ne pas se tromper d’affaire/à faire : c’est simple, finalement, si vous pouvez remplacer "à faire/affaire” par “à réaliser", c’est bien en deux mots que vous devez l’écrire : à faire. Et si vous faites encore la faute, vous aurez affaire à moi (affaire en un seul mot !).

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