Bruno, de Lille, me dit qu’il est un fan du capitaine Haddock et de ses insultes fleuries, en particulier "moujik, moule à gaufres et macrocéphale", et il me remercie d’avoir attiré son attention sur catachrèse, qui lui avait échappé, et dont il me demande d’expliquer le sens, car, ayant cherché le mot dans son dictionnaire, il n’a pas saisi en quoi c’est une injure.
Alors, qu’est-ce que c’est, une catachrèse ? C’est vrai que, à part le capitaine Haddock et quelques savant linguistes, le mot n’est pas très utilisé. Alors, cher Bruno, la catachrèse, c’est une figure de style. Comme je les mélange toutes, j’ai dû faire comme vous, appeler à l’aide mon Petit Larousse. La catachrèse, du grec katachrésis, signifiant "abus", est un "procédé qui consiste à utiliser un mot au-delà de son sens propre" et le dictionnaire donne l’exemple des "flancs d’un navire", mais on peut aussi parler des pieds d’une table, de la gueule d’un canon, et si je dis que Tonton a les dents qui se déchaussent, c’est aussi une catachrèse, parce que… les dents n’ont pas de chaussures ! Si je dis que le soleil vient de se lever (ou de se coucher), c’est encore une catachrèse car le soleil ne dort pas.
En fait, la catachrèse, c’est une métaphore qui est tellement connue, tellement usée, tellement utilisée qu’on ne se rend même plus compte que c’est une image : quand on parle des pieds d’une table, nul ne visualise des orteils ou des chaussures, juste des pièces de bois installées sous un plateau de bois.
Mais je comprends la question de Bruno : en quoi est-ce une injure ? Eh bien, le capitaine Haddock utilise comme injures des mots familiers (comme marin d’eau douce, pirate, cachalot ou cannibale) mais il se sert également de termes qui lui semblent simplement barbares : il est capable de vous traiter de végétarien, par exemple, de nyctalope ("capable de voir dans le noir") ou de cataplasme, cette préparation médicale qu’on pose sur la peau. Et en matière de vocabulaire ayant trait à la description de la langue française, il peut vous traiter aussi d’apophtegme – une espèce de maxime ou d’adage – ou encore d’anacoluthe.
Une anacoluthe, c’est une rupture dans la construction d’une phrase qui peut conduire à la comprendre de travers. Par exemple si je dis "Arrivée dans le studio de RTL, Stéphane n’était pas encore là", c’est une phrase mal fichue. Je dois dire "Quand je suis arrivée dans le studio de RTL, Stéphane n’était pas encore là", autrement, on pourrait croire que Stéphane était à la fois arrivé… et pas arrivé. Pour le commun des mortels, c’est juste une erreur de construction, il n’y a que le capitaine Haddock pour en faire une injure. Bravo capitaine !
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