Langue française : où sont "Pétaouchnok", "Le diable Vauvert" et "Tataouine" ?

Il y a peu, un auditeur me demandait l’origine de l’expression “au diable Vauvert”. “Au diable Vauvert” (V majuscule ou minuscule, selon les dictionnaires), c’est une façon un peu chic et surannée de dire “au bout du monde”, “loin de tout”. “Il est parti en vacances au diable Vauvert”, “Ma sœur habite au diable Vauvert.” On entend aussi parfois plus simplement “au diable vert”, ou même “au diable” tout court : “On ne va pas aller au diable pour acheter un sandwich !”

Diable est un emprunt au latin diabolus”, signifiant “démon”: un emprunt dont on trouve la trace dès le IXe siècle en français. Le latin l’avait d’abord fauché au grec ancien diabolos, un adjectif désignant ce “qui désunit, qui inspire la haine ou l’envie”. En fait, et c’est très intéressant, à l’origine, le diable, c’est celui qui calomnie, celui qui propage la haine et la zizanie. C’est en cela qu’il est dangereux. Aujourd’hui, le diable, tout compte fait, ce serait peut-être parfois les réseaux sociaux X ou TikTok.

Mais qu’est-ce que c’est que ce “Vauvert” ? Il y a plusieurs explications, plusieurs thèses – ce qui veut dire qu’en fait, on ne sait pas trop. Ce qui est sûr, c’est que Vauvert veut dire “val vert”, “verte vallée”. Il y a plusieurs lieux qui s’appellent Vauvert en France. Les étymologistes pensent notamment à une abbaye de moines chartreux qui se situait à peu près à l’endroit actuel de la place Denfert-Rochereau, ce qui semblait fort loin de Paris, à l’époque où Paris ne dépassait guère les limites de l’île de la Cité. Il y a également un château de Vauvert à Gentilly… et un Vauvert près de Nîmes. Des endroits censés être lointains, et éventuellement inquiétants.

Perpète-les-Oubliettes

Et il y a quantité de synonymes de cette expression, plus rigolos les uns que les autres. J’ai déniché un livre publié en 2023 qui passionnera tous les amateurs de lieux lointains ou inaccessibles. C’est l’œuvre d’un chercheur au CNRS, Riccardo Ciavollela, et ça s’appelle Pétaouchnok(s), du bout du monde au milieu de nulle part. C’est publié chez La Découverte. 

“Au milieu de nulle part”, voilà déjà un synonyme de “au diable Vauvert”, mais en français, on peut aussi aller à Trifouillis-les-Oies, ou à Trifouillis-les-Cactus, ou encore à Perpète-les-Oies, “avec toutes ses déclinaisons” : Perpète-les-Alouettes, “les-Andouillettes, la-Galette, les-Bains, les-Olivettes”, l’expression originale étant, d’après Riccardo Ciavollela, “Perpète-les-Oubliettes”, “le mot perpète [renvoyant] à la perpétuité et étant utilisé depuis les années 1840 pour désigner les travaux forcés à vie des bagnards. Ce sens aurait donc glissé progressivement pour indiquer le lieu de relégation, le bagne, et ensuite n’importe quel trou perdu”. 

Même origine quand on dit “Il est parti à Tataouine”, sauf que Tataouine existe vraiment, dans le sud de la Tunisie : on y avait installé un bagne militaire où, jusqu’à la deuxième guerre mondiale, on envoyait les condamnés se dessécher au bon air du désert. Mais le plus intéressant, c’est que chaque langue du globe a inventé ses propres façons de désigner “le trou du cul du monde”. 

Les Anglo-Saxons disent comme nous “au milieu de nulle part” (in the middle of nowhere), tandis que les Israéliens, poètes, préfèrent “au bout du monde, tournez à gauche”. Nos voisins belges quant à eux vont à Houte-si-plou ou à Macapette, tandis que les Espagnols, toujours empreints de catholicisme, se rendent “là où Jésus-Christ perdit son béret”, une expression que les Chiliens traduisent en “là où le diable a perdu son poncho”. 

Pour nos cousins les Germains, le bout du monde, c’est “où pousse le poivre”, tandis que les Genevois, pas très aventuriers, vont “à Plan-les-Ouates”, qui n’est autre que l’une des villes les plus occidentales de… Suisse. Mais mon bout du monde préféré, c’est quand même la version québécoise : “Saint-Profond-des-Meumeu” !