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Les sites porno vont-ils devoir demander la carte bleue pour vérifier l'âge des internautes ?

La secrétaire d'État à l'Enfance Charlotte Caubel souhaite accélérer la fin de l'accès libre aux sites porno pour les mineurs alors que les procédures judiciaires visant à faire appliquer la loi sont au point mort.

Les sites pornographiques vont devoir durcir la vérification de l'âge de leurs visiteurs en France (illustration)
Les sites pornographiques vont devoir durcir la vérification de l'âge de leurs visiteurs en France (illustration)
Crédit : Pornhub
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Benjamin Hue

Imposer l'enregistrement d'une carte bleue pour accéder aux sites pornographiques. La secrétaire d'État à l'Enfance Charlotte Caubel a défendu cette idée devant l'Assemblée nationale ce mardi 25 octobre afin de diminuer l'exposition des mineurs aux contenus pour adultes en ligne. La carte bancaire serait utilisée comme filtre pour une transaction de un ou zéro euro. « On nous oppose que ce ne serait pas un filtre parfait, mais déjà, si on peut protéger 30 ou 40 % [des mineurs, ndlr], soyons pragmatiques. Mon enfant, quand il utilise sa carte bleue, j'ai une alerte, je verrai si c'est sur YouPorn ou sur McDo", a déclaré Charlotte Caubel à l'occasion d'une audition devant la délégation aux droits de l'enfant. La secrétaire d'État promet de "faire bouger les choses assez sérieusement" alors qu'elle dit "perdre patience" face aux pratiques des sites pornographiques qui ne se plient pas à la législation française.

La sortie de la secrétaire d'État a de quoi surprendre alors que l'utilisation de la carte bancaire a été jugée imparfaite par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) fin juillet, la seule autorité administrative à avoir donné des lignes directrices sur le sujet à ce jour. Dans un avis passant en revue les différents dispositifs techniques susceptibles d'être utilisés pour vérifier l'âge des internautes à l'entrée des sites porno, la Cnil avait souligné qu'une carte bleue peut facilement être octroyée à un mineur ou être subtilisée par un enfant à ses parents pour contourner le filtrage. 

Elle a aussi l'inconvénient de ne pas être accessible à tous, conditionnée aux revenus. Le site Jacquie et Michel est d'ailleurs sous la menace d'une procédure de blocage pour avoir mis en place un contrôle de l'âge des internautes basé sur une empreinte de carte bleue. Un système jugé "pas fiable" par l'Arcom, dans la mesure où "l’utilisation d’informations relatives à une carte bancaire dont le titulaire est mineur permet aussi la création d’un compte".

"Ne pas opposer la protection des données à la protection des enfants"

Sollicité par RTL, le cabinet de Charlotte Caubel explique que la sortie de la secrétaire d'État n'est pas tant le reflet d'une nouvelle ligne gouvernementale qu'"une prise de position politique" destinée à faire bouger les lignes alors que les différentes initiatives visant à réduire l'exposition des mineurs à la pornographie sont pour l'instant freinées par des questions formelles ou techniques.

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"C'est un moyen de faire comprendre qu'il faut respecter la loi du 30 juillet 2020 dont les principes ne sont pas respectés dans les faits, explique l'entourage de Charlotte Caubel. La secrétaire d'Etat propose que la carte bleue soit utilisée comme un filtre puisque la grande majorité des mineurs n'en ont pas. Cela permettrait un premier blocage effectif. Ce n'est pas la panacée car ça ne protégerait pas l'intégralité des mineurs et ça ne correspond pas à la position de la Cnil. Mais on ne peut pas se satisfaire de la position actuelle et opposer à la protection des enfants la protection de la vie privée des adultes. Quel que soit le moyen, c'est la fin qui prime. 36% des garçons ont été exposés à des images porno avant l'âge de 13 ans. Il faut mettre un terme à ces usages".

Les procédures judiciaires au point mort

Depuis l'été 2020, la loi impose aux sites pornographiques de mettre en place un contrôle de l’âge de leurs visiteurs pour empêcher l'accès des mineurs aux contenus pour adultes. Ils ne peuvent plus se contenter d'un simple "disclaimer" sur lequel il suffit de cliquer pour attester de sa majorité et doivent mettre en place un filtrage robuste, sous peine de voir l'Arcom saisir le juge pour ordonner un blocage technique chez les fournisseurs d'accès. Après des constats d'huissiers, plusieurs mises en demeure ont été adressées par l'autorité aux sites pornographiques les plus populaires cet automne. Mais la procédure a été ralentie par la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité par le site Pornhub qui doit être étudiée sous trois mois par la Cour de cassation.

En attendant, les principaux acteurs du secteur ne se sont toujours pas pliés à la loi, par crainte de perdre du précieux trafic. Ils se retranchent aussi derrière le fait que les modalités du filtrage exigé par les autorités n'ont été définies, ni par le législateur, ni par le régulateur, l'Arcom, à qui les textes laissent pourtant la possibilité de le faire. Un récent rapport sénatorial a d'ailleurs dénoncé ce désengagement, jugeant primordial que l'autorité adopte une démarche proactive sur ce sujet et que le gouvernement impose le développement de dispositifs de vérification.

Dans ces conditions, la secrétaire d'État à l'Enfance entend faire primer la question de l'effectivité de la loi sur la quête d'une solution technique pérenne idéale, respectant tous les enjeux de protection des données. "Il est urgent de faire appliquer la loi pour réduire la masse de mineurs exposés tous les jours à des contenus porno en ligne. Il en va de l'intérêt de millions d'enfants menacés par des troubles psychiques graves". Son cabinet dit être en discussion avec le ministère délégué au Numérique de Jean-Noël Barrot et les opérateurs du secteur pour avancer sur toutes les solutions possibles. Outre la carte bleue, qui ne ferait cependant pas l'unanimité au sein du gouvernement, la piste la plus prometteuse serait celle du double anonymat, préconisée par la Cnil, consistant à recourir à un tiers de confiance faisant office d'intermédiaire entre les internautes et les sites consultés.  

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