D’autres victimes ont-elles croisé leur route ? Treize tueurs et violeurs en série présumés sont désormais dans le viseur du pôle judiciaire de Nanterre dédié aux crimes sériels et aux affaires non élucidées. Les magistrats et les services enquêteurs mettent tout en œuvre pour reconstituer leur "parcours criminel", nouvel outil d’enquête qui permet au pôle "cold cases" d’inverser la logique classique d’investigation.
"Plutôt que de partir d’une affaire qui a donné lieu à la mise en cause d’une ou plusieurs personnes, on part d’un criminel déjà condamné", résume le procureur de Nanterre Pascal Prache. "On va établir tout son parcours de vie, de façon à vérifier s’il y a une connexion entre ce parcours et des faits criminels non résolus dans des endroits donnés".
On connaissait jusqu’ici l’identité de neuf* de ces tueurs et violeurs hors-norme qui font l’objet d’un parcours criminel ouvert par le pôle cold cases, notamment Francis Heaulme, Patrice Allègre, Nordahl Lelandais, ou le couple Michel Fourniret-Monique Olivier. RTL révèle le nom de trois autres d’entre eux. Tous sont présumés innocents et rien ne permet d’affirmer à ce jour qu’ils ont commis d’autres crimes. Mais leur dangerosité a incité la justice à fouiller leur passé.
Premier dossier, celui de David Sagno, surnommé "le tueur du pont de Neuilly". L’homme a été condamné à 30 ans de prison en 2012 pour le meurtre et le viol de deux femmes en 2001 et 2002, au niveau du pont qui relie Neuilly-sur-Seine à la Défense, à l’ouest de Paris. Les deux meurtres avaient préalablement été attribués par erreur à Marc Machin, un marginal resté six ans en prison avant que David Sagno ne surgisse dans un commissariat une nuit de 2008, pour avouer ses crimes.
Des actes commis, selon ses aveux, après une vision nocturne qui lui avait commandé "un besoin urgent de tuer". Avant son interpellation, à 34 ans, David Sagno n’avait passé que trois ans en prison, mais son profil est particulièrement inquiétant. Le pôle cold cases a saisi donc la Brigade criminelle de la police judiciaire parisienne pour tenter de reconstituer son itinéraire dans les années 90 et 2000.
Deuxième parcours criminel récemment ouvert, celui d’Arnaud Hopfner, "le violeur de la RN 4". Le chauffeur-livreur de Nancy a été condamné en 2016 pour six viols et huit tentatives commises entre 2008 et 2010 dans l’est de la France, notamment autour de Nancy et Bar-le-Duc. Des viols qui ont visé des femmes de 19 à 62 ans, menacées dans la plupart des cas de la même façon, à l’aide un couteau.
C’est un faux pas qui a conduit à l’arrestation du suspect en 2012 au Luxembourg. Arnaud Hopfner, âgé de 36 ans, tente alors d’agresser une joggeuse qu’il guette depuis sa camionnette. La femme arrive à se dégager mais retient une partie de la plaque d’immatriculation, ce qui permettra d’interpeller le violeur. Des traces ADN et une solide enquête vont permettre de remonter à une quinzaine de faits. A-t-il violé d’autres femmes ou au contraire peut-on exclure son hypothèse de certains viols ? C’est l’objet du parcours criminel ouvert par le pôle cases et confié à l’OCRVP, l’office central de la répression des violences au personnes, l’office "cold-case" de la police judiciaire.
Enfin dernier parcours ouvert, fin juin, par les magistrats de Nanterre, celui de Jean-Marc Reiser. L’Alsacien a été condamné en 2022 à la perpétuité pour le meurtre de l’étudiante Sophie Le Tan en 2018, à Schiltigheim, une jeune femme de 20 ans venue visiter son appartement mis en location. Les ossements de corps avaient été retrouvés disséminés dans une forêt quelques mois plus tard. C’était loin d’être son premier crime puisque le fils de forestier avait été condamné à 15 ans de prison en 1997 pour deux viols.
Là encore l’Office central de lutte contre les violences aux personnes (OCRVP) reconstitue ses activités dans les périodes où il n’était pas en détention. Jean-Marc Reiser est d’ores et déjà mis en examen pour séquestration ou détention arbitraire criminelle dans l’affaire Françoise Hohmann, une représentante en aspirateur disparue en 1987 et dont le corps n’a jamais été retrouvé. Jean-Marc était son dernier client.
Seule l’identité du 13e parcours criminel ouvert par le pôle cold cases, confié à la Division des affaires non-élucidées de la gendarmerie (Diane), n’est pas connu à ce jour.
Pour réaliser ces parcours criminels et tenter d’établir les lieux de vie successifs des suspects visés, les emplois occupés, les voyages, les fréquentations, les déplacements etc, jusqu'à parfois 30 ou 40 ans en arrière, les services de police ou de gendarmerie spécialisés disposent des moyens classiques d’investigations : auditions de témoins, enquêtes de voisinage, réquisitions auprès des opérateurs de téléphonie ou des banques, accès aux fichiers des impôts, de la sécurité sociale, de la justice, à l'exception des actes coercitifs tels que les garde à vue ou les perquisitions. Objectif : reconstituer de manière la plus détaillée possible la vie d’un auteur présumé de crimes sériels, aussi bien d'ailleurs lors de ses périodes de liberté que son histoire carcérale, parfois incomplète, certaines condamnations très anciennes pouvant ne pas être connues.
La deuxième partie du travail, en coordination avec les juridictions locales, est d’identifier d'éventuels crimes non-résolus dans les régions où un suspect a pu habiter, en particulier si son mode opératoire a été utilisé. La plupart des tueurs en série ont en effet une signature commune à la plupart de leurs crimes. Si une correspondance "matche", ce qui n'a pas encore été le cas pour les treize dossiers ouverts par le pôle cold-case, les éléments du parcours criminels seront transmis à la juridiction locale à charge pour ses magistrats d’interroger le suspect et de décider d’éventuelles poursuites.
Les parcours criminels ont un autre objectif, miroir du premier. "Ça peut au contraire aboutir à fermer une porte", souligne le procureur Pascal Prache, "et écarter l’hypothèse de la présence d’un criminel sur un fait donné, par exemple s’il se trouvait en prison ou en voyage à ce moment-là. Ce qui est précieux pour les services d’enquête qui peuvent se concentrer sur d’autres pistes." À ce jour, les parcours criminels n’ont pas encore abouti à de nouvelles mises en examens dans des affaires non élucidées.
Corinne Hermann, avocate spécialiste des cold cases qui s’est longtemps battue, notamment, aux côtés de familles des victimes de Michel Fourniret et Monique Olivier, considère qu'il s'agit d'un outil essentiel, outil qu’elle a participé à créer : "On sait que les criminels en série ne vont jamais donner leur série de crimes en entier, spontanément. Donc il va falloir les chercher, il falloir creuser, d’abord pour les familles bien sûr, pour les apaiser, pour des territoires aussi parce que quand des crimes restent irrésolus ça crée des peurs et des angoisses dans la région, et pour les magistrats aussi parce qu’il y peut-être des affaires simples à résoudre qui leur permettrait de travailler sur autre chose."
Et cela, bien sûr même s’il est illusoire de reconstituer un parcours de vie au jour le jour. Une des questions qui se pose d’ailleurs aux enquêteurs c’est de savoir à quel moment il sera décidé qu’un parcours est suffisamment complet pour être bouclé et éviter une instruction sans fin.
L’enjeu qui va de pair, et sur lequel le travail ne fait que commencer, c’est celui de la mémoire criminelle, c’est-à-dire une sorte de grand fichier numérique qui permettrait de rassembler les données – à voir lesquelles et avec quelles garanties – du plus grand nombre possible d’affaires non-élucidées sur tout le territoire. "Le parcours criminel est un outil qui va évoluer" estime l’avocate Corinne Herrmann, "on en est aux prémices, parce ce qui est particulier c’est que personne n’a accès à ces instructions en dehors des magistrats, il faudra qu’à terme ce soit versé dans nos dossiers, on verra comment."
Les avocats de certains mis en cause protestent déjà de cette impossibilité d’accéder à ces investigations et affirment que leurs clients n’ont rien d’autres à se reprocher que leurs crimes déjà connus. D’autres soutiennent au contraire la démarche du pôle cold cases de Nanterre, dans l’intérêt des familles en attente de réponses, souvent depuis de longues années.
Tout l’été sur RTL retrouvez notre série "Sur la piste des tueurs en série", consacrée aux parcours criminels du pôle cold cases, à 8h15 les samedi et dimanche et en podcast sur RTL.fr et l’application RTL.
*Jacques Rançon, Willy Van Coppernolle, Francis Heaulme, Pascal Jardin, Patrick Trémeau, Pascal Lafolie, Patrice Allègre, Nordahl Lelandais, Michel Fourniret et Monique Olivier.
Bienvenue sur RTL
Ne manquez rien de l'actualité en activant les notifications sur votre navigateur
Cliquez sur “Autoriser” pour poursuivre votre navigation en recevant des notifications. Vous recevrez ponctuellement sous forme de notifciation des actualités RTL. Pour vous désabonner, modifier vos préférences, rendez-vous à tout moment dans le centre de notification de votre équipement.
Bienvenue sur RTL
Rejoignez la communauté RTL, RTL2 et Fun Radio pour profiter du meilleur de la radio
Je crée mon compte