Un soir d'automne 1984, à 21h15, alors que la nuit enveloppe la vallée étroite de la Vologne, le corps du petit Grégory Villemin, est arraché à l'eau glaciale, au pied du pont et du barrage de la commune de Docelles.
Les pompiers sont à la manœuvre. L’enfant a les pieds et les poings liés par des cordelettes. Il porte encore son anorak bleu et son bonnet. Son corps est enveloppé dans une couverture et déposé dans un local qui sert de caserne pour être autopsié.
Le premier médecin légiste qui l'examine dans la nuit ne
porte pas de gants. Une chaîne de contamination est déjà en place. Rien de
très étonnant à cela : À l'époque, les scènes de crime ne sont pas ou peu
protégées, les techniciens en identification criminelle n'existent pas et l'ADN
n'a pas encore fait son apparition. Les vêtements de l'enfant, les cordelettes
et ses chaussures ont ainsi été touchés sans précaution.
Dans une note de synthèse datée de 2010, le laboratoire Biomnis, désigné pour des expertises, prévient : "Dès leur saisie, ces scellés ont été souvent et longuement manipulés par divers tiers, effaçant en totalité ou en partie les ADN de surface précédemment déposés".
Des traces ADN qui auraient été des plus précieuses puisque personne n'a été témoin de ce crime. Grégory, quatre ans, a été enlevé devant chez lui, à six kilomètres de là, devant la maison de ses parents, à Lépanges-sur-Vologne. Des indices matériels inexistants ou malmenés et aucun témoignage. L'enquête démarre sur un mauvais pied.
Les gendarmes ne vont pas attendre très
longtemps pour disposer d'un élément capital. Dès le lendemain de la
découverte, la réception d'une lettre change tout. Le courrier est adressé à
Jean-Marie Villemin, le père de Grégory. Il a été posté la veille, à
Lépanges, à 17h15, quelques heures avant la mort de l'enfant, comme l'atteste
le cachet du bureau de poste : "J'ai pris la lettre sans l'ouvrir et je
l'ai remise aux gendarmes qui nous attendaient. Ce sont eux qui l'ont ouverte
à la cuisine", indique Jean-Marie Villemin dans un procès verbal révélé
par le journal Libération.
Les gendarmes couvrent de poudre noire l'enveloppe
et la lettre proprement dite. Dans le but de détecter les empreintes. Travail
méticuleux même si ce courrier, qui va passer de main en mains, dont celles
d’une dizaines de graphologues, n'est placé sous scellés que deux mois après le
crime par le juge Jean-Michel Lambert.
Une lettre
manuscrite, rédigée en lettres cursives, qui contient ces mots : "J'espère
que tu mourras de chagrin le chef, écrit le corbeau... Ce n'est pas ton argent
qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance pauvre con."
Ce corbeau qui revendique le crime, est en
fait omniprésent dans la vie de la grande famille Villemin. Pas moins de 70
personnes, frères, oncles, tantes, cousins, cousines qui habitent toutes dans
un rayon de 20 kilomètres. Un corbeau qui semble particulièrement persécuter
le couple Villemin, auquel il voue de toute évidence jalousie et rancœur. Il
écrit, il téléphone, il harcèle.
Le dossier, toujours ouvert, va bénéficier des nouvelles techniques de recherche en médecine légale notamment sur l'ADN. Et même si de nombreux indices ont été altérés dès les débuts de l'enquête, des analyses récentes permettront peut-être de résoudre l'un des cold case les plus marquants des 40 dernières années.
- Me Marie-Christine Chastan Morand, avocate des époux Villemin, parents de Grégory.
- Me François Saint-Pierre,
avocat des époux Villemin, parents de Grégory.
- Thibaut Solano journaliste à Marianne et auteur de La
Voix Rauque (éditions Les Arènes).