Suez : pour Polony, "la laideur des porte-conteneurs résume l’organisation du monde"
ÉDITO - Un porte-conteneurs a bloqué pendant une semaine le canal de Suez. Un phénomène qui résume "la division mondiale du travail" et "l'organisation du monde", selon Natacha Polony.

C’est le printemps, on veut respirer, échapper au confinement… Et pour voyager, un peu d’imagination : du sable fin, les reflets du soleil sur l’eau, des navires, comme un air de grand large, mais ce n’est pas le grand large… Un peu plus loin, la mer est turquoise, mais là où je vous emmène, c’est un peu moins engageant.
À l’heure qu’il est, les navires s'apprêtent à franchir le canal de Suez. Je vous emmène dans ce bras de mer artificiel qui fait à peu près 300 mètres de large, et qui est bloqué depuis une semaine par un porte-conteneurs de 400 mètres de long et pesant 200.000 tonnes. Le plus dingue, c’est que nous considérons cela comme une anecdote. Depuis que le navire d’une compagnie taïwanaise s’est ensablé, on a suivi l’aventure avec une certaine indifférence, comme si de rien n’était et là ça repart on est content.
Mais il faut bien comprendre qu’en sept jours,
plus de 400 bateaux se sont entassés aux deux embouchures du canal et je vous
invite à regarder des images. Vous y verrez le gigantisme et la laideur de ces
porte-conteneurs qui résument l’organisation du monde.
L’un de ces navires transporte du chêne français
parti se faire transformer en Chine et qui revient pour alimenter le marché
européen.
Ça résume ce qu’on appelle la division mondiale du travail. Vous ne comprenez pas comment il peut être rentable de faire faire le tour de la planète à du bois pour le transformer ? Et bien ça vous montre à quel point il est juteux de sous-payer des gens sans aucun droits sociaux. Et ça tombe bien, le fioul des bateaux, en plus, est exonéré de taxe. Vous savez, celle qu’on avait voulu augmenter pour le carburant des particuliers parce qu’il fallait sauver la planète…
Et je ne vous parle pas de toutes ces entreprises qui paniquent parce que tout est en flux tendu. Aucun stock, donc
plus rien à vendre. Et voilà comment une simple erreur mécanique ou humaine peut coûter des milliards. Entre 6 et 9 par jour.
Saint-Exupéry a bien fait de s’écraser dans son avion, pour ne pas voir ça
Natacha Polony
Il y a même 130.000 moutons en danger de mort dans ces
bateaux… Oui, parce que les animaux sont considérés comme
des objets comme les autres. À propos de mouton, vous savez comme a été baptisé
l’un des plus gros porte-conteneurs du monde, fabriqué en France ? Le
Saint-Exupéry. Oui, du nom de l’auteur du Petit Prince, "s’il-vous plaît,
dessine-moi un mouton". Il a bien fait de s’écraser dans son avion, pour
ne pas voir ça. Vous savez quelle est la dernière phrase qu’il ait écrite,
avant sa dernière mission ? "La termitière future m’épouvante et je
hais leur vertu de robot. Moi, j’étais fait pour être jardinier".
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