Couper, trancher, désosser et balancer une lourde carcasse d’une dizaine de kilos sur ses larges épaules. Cédric a répété ces gestes des centaines de fois aujourd’hui. Une journée de travail commencé au milieu de la nuit. À 36 ans, Cédric paraît avoir quelques années de plus, le résultat d’années d’un métier harassant : "À la fin de la journée, on a mal aux mains, on est cassé. Si on continue comme ça, on mourra au boulot. Il vaut mieux qu'ils laissent la retraite comme c'était, et qu'ils n'y touchent pas. À la fin de la journée, je suis cassé, et à la fin de la semaine, je suis fatigué."
Chaque jour, environ 5.000 porcs sont tués, un quasiment toutes les 6 secondes. Ils défilent, passent de main en main, pour arriver en bout de chaîne, au secteur emballage, où il y a principalement les salariés femmes de cette entreprise. Un travail pourtant tout aussi difficile : "Je vais avoir 51 ans dans un mois. Souvent, je porte des charges lourdes. Je me donne cinq ans, parce que je commence à sentir mon dos, mes bras, des tendinites, la fatigue, je sens que je ne vais pas tenir jusqu'à 65 ans. Le matin, on a des douleurs partout, on a l'impression que 36 TGV nous sont passés sur le corps, mais on y va quand même."
La douleur accompagne ses salariés une bonne partie de leur vie. Le mal se transforme au fil des années en maladie professionnelle. Franck travaille à l’abattoir depuis 30 ans. Il gagne à peine 1.700 euros par mois : "Je ne sais pas si j'arriverai à tenir jusqu'au bout. Je pense que je pourrais partir sur invalidité, mais peut-être ne pas toucher ma retraite complète. J'ai eu pas mal de maladies professionnelles, ça va en s'empirant. Je ne pourrai plus rien faire du tout."
André est l'un des seuls salariés de plus 60 ans parmi le millier d’ouvriers, il est à la retraite le 1er juillet : "À l'abattoir, on n'arrive pas tous à 60 ans en pleine forme. J'ai plein de collègues que j'ai vu partir avant, ou que je ne vois même plus, qui sont en arrêt, et qui attendent leur retraite. À l'abattoir, il n'y a personne qui a 60 ans, le métier est trop dur. Le plus souvent, avant 60 ans, les salariés sont épuisés, brisés. Ils sont peu à terminer leur carrière."
Pourtant, ils sont peu à se mobiliser. D'abord, parce qu'ils ont peu de jours de congés, et puis, être gréviste, c’est une journée de salaire de perdue. 80 euros en moins c’est énorme d’après Nathalie : "Ce n'est pas que je ne veux pas faire grève. C'est un manque à gagner. Ll'inflation des prix du gazole, l'inflation de la nourriture, je n'ose pas manifester. C'est quand même une journée ou deux de moins où on n'est pas payés, ce qui est logique." Certains seront dans le cortège, les autres sont résignés. À l’abattoir, la retraite est forcément douloureuse et parfois inaccessible.