Les violences en ligne contre les mineurs ont explosé en 2020. Le numéro vert de protection des mineurs sur internet, "Net Ecoute", a vu augmenter de 57% les signalements des insultes en ligne, de photomontages dégradants, ou encore de "revenge porn", a signalé l’association e-Enfance, qui gère la plateforme.
Au total, l'association a recensé 12.000 appels sur sa plateforme en 2020, pour des sujets allant de la violation des données personnelles, à l'exposition à des contenus choquants en passant par des demandes de conseil de parents sur le temps d'écran des mineurs. Selon une étude réalisée en 2020 par Opinion Way, en partenariat avec le Lab Heyme et l’association e-Enfance, un adolescent sur dix déclare par ailleurs avoir été déjà victime de cyberharcèlement.
Au lendemain de la journée internationale de prévention pour un Internet plus sûr, le 2 février, se pose donc la question des moyens à mettre en place contre ce phénomène. Pour Justine Atlan, directrice d'e-Enfance, il y a tout un travail éducatif à faire de la part des parents. Leur mission : poser un cadre pour l'enfant au sujet des usages du numérique.
À 3 ans, l'usage du numérique n'a pas d'intérêt
Justine Atlan, directrice de e-Enfance
Selon Justine Atlan, il ne faut pas confier trop tôt un écran à un enfant. "À 3 ans, l'usage du numérique n'a pas d'intérêt", explique-t-elle auprès de RTL.fr. Pendant l'enfance, la directrice d'e-Enfance estime qu'un appareil numérique personnel n'est pas nécessaire : mieux vaut selon elle en rester à l'ordinateur partagé. On peut aussi utiliser certains outils, comme le contrôle parental, ou les offres "enfants" de certaines plateformes, pour contrôler le temps passé derrière les écrans ou les contenus auxquels les enfants ont accès.
Quand l'enfant grandit, le cadre peut s'assouplir. Mais pas question pour autant de le laisser seul sur Internet. "Quand on offre un smartphone, il ne faut pas l'offrir comme un jouet, mais bien dire à l'enfant à quoi on veut qu'il serve, et à quoi on ne veut pas qu'il serve", soutient notamment Justine Atlan. On peut aussi restreindre l'accès à l'appareil pendant la nuit, ou les repas, pour éviter qu'il ne prenne trop de place dans la vie de l'enfant.
Sylvie Jonas, avocate au barreau de Paris et experte dans la prévention et la gestion de la cybercriminalité, préconise une approche qui repose sur trois piliers : "sensibilisation, information et formation". "C'est la même approche que je conseille pour prévenir la cybercriminalité dans les entreprises", s'amuse-t-elle.
L'idée est ainsi d'abord de sensibiliser les enfants aux risques qu'ils encourent sur Internet. Puis de les informer des risques pénaux encourus par les cyberharceleurs et les témoins de cyberharcèlement. En pratique, le cyberharcèlement est puni de 2 à 3 ans de prison, avec jusqu'à 45 000 euros d'amende. Enfin, la formation des enfants consiste à leur indiquer les ressources qui sont à leur disposition, comme le numéro vert "Net Écoute" (0800 200 000), ou encore "d'afficher dans la maison les règles d'un bon usage du web", indique Me Jonas.
Pour les moins de 13 ans, l'âge minimum requis pour s'inscrire sur la plupart des réseaux sociaux, Justine Atlan propose aussi de créer un compte avec son enfant s'il en a vraiment envie. "Cela permet de lui apprendre ce qu'on peut mettre en ligne ou pas, et de parler des difficultés qu'ils peuvent rencontrer face à certains commentaires, tout en ne mettant pas directement leur image en cause", explique-t-elle.
La directrice d'e-Enfance insiste aussi sur la nécessité de s'intéresser à ce que fait l'enfant, aux réseaux sociaux qu'il fréquente, aux contenus qui lui plaisent... "Dévaloriser les usages que peut faire l'adolescent d'Internet est le meilleur moyen pour qu'il se renferme sur lui-même, et qu'il ne partage plus rien avec les parents, y compris le jour où il fait face à un problème", dit-elle.
Un constat partagé par Martine Brousse, directrice de La Voix de l'Enfant, pour qui les mots clés sont "éducation et dialogue". "L'éducatif doit primer sur la répression", soutient-elle auprès de RTL.fr. Et cela vaut aussi pour les sujets les plus tabous, comme le problème du revenge porn, et l'épineuse question de la sexualité des adolescents sur Internet.
"On l'a vu pendant le confinement, tout ce que les ados font a une dimension numérique", développe Justine Atlan. "Même à distance, ils continuent à avoir des relations amicales, à séduire, à avoir des expériences sexuelles..." Même s'il est parfois difficile pour les parents de parler à leurs enfants de sexualité, et souvent inconcevable pour eux d'imaginer leurs adolescents envoyer des "nudes", des photos dénudées, le fait est que le phénomène existe.
Plutôt que de leur interdire de le faire, ce qui risque de ne pas être efficace, mieux vaut leur dire que, "s'ils le font, ils ne doivent jamais envoyer une photo avec signe distinctif qui permette de les identifier, comme une tâche de naissance par exemple", conseille l'avocate Sylvie Jonas. Autre recommandation, pour les échanges par webcam : "expliquer qu'ils doivent demander à la personne en face de faire le même mouvement qu'eux en même temps, pour vérifier qu'elle est bien en direct, et qu'il ne s'agit pas d'un 'fake'", propose Justine Altan.
Pour prévenir les violences en ligne, il faudrait ainsi pour Martine Brousse, de La Voix de l'Enfant "un travail important auprès des familles, afin d'établir ce dialogue". Elle espère notamment voir de grandes campagnes d'information sur le sujet. "Mais cela demande des moyens", conclut-elle.