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"La CAN ? Un crash test" : comment le Maroc s'affirme sur la scène internationale grâce à ses investissements dans le football

Près de 20 ans après avoir entamé une révolution sportive sous l'impulsion du roi Mohammed VI, le Maroc accueille la CAN à partir de ce dimanche 21 décembre. Une grande répétition pour le Royaume, avant de recevoir la Coupe du monde en 2030.

Les joueurs marocains célébrant un but d'Achraf Hakimi lors de la CAN en Côte d'Ivoire, le 21 janvier 2024.

Crédit : SIA KAMBOU / AFP

Gabriel Joly

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C'est le grand jour pour le Maroc. Après plus d'une décennie de développement sportif et d'investissements, le Royaume accueille la Coupe d'Afrique des nations, à partir de ce dimanche 21 décembre. Ce match d'ouverture contre les Comores (20h), dans un stade Prince Moulay Abdellah garni de près de 70.000 spectateurs, marque le début du premier rendez-vous majeur pour le pays, qui a obtenu l'organisation de la Coupe du monde 2030 avec l'Espagne et le Portugal.

"La stratégie marocaine de développement dans le foot, initiée par une volonté du roi Mohammed VI, tient compte de la capacité de ce sport à être un fait social total, c'est-à-dire d'emmener avec lui tous les secteurs de l'économie nationale, du tourisme aux aménagements avec une logique événementielle de développement du territoire", explique Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique du sport.

À l'origine de ce plan de développement, on retrouve donc le souverain, dont l'idée était de dynamiser son pays via le ballon rond, mais également le président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF) Fouzi Lekjaa depuis 2014. Celui-ci cumule les casquettes, puisqu'il est aussi ministre du Budget, ainsi que membre influent de la Confédération africaine (CAF) et de la Fifa, qui a d'ailleurs installé son ancrage continental à Rabat. Autrement dit, "c'est l'un des hommes les plus puissants d'Afrique, chargé de la réussite de la CAN et du Mondial, qu'il a permis d'obtenir", dixit l'expert.

Le paquet mis sur la formation grâce à Nasser Larguet

Pour autant, le développement du football marocain n'aurait pas été possible sans un visage bien connu de la Ligue 1, comme le raconte Landry Chauvin, ex-adjoint de Vahid Halilhodzic sur le banc de la sélection marocaine en 2019-20. "Ils récoltent aujourd'hui les fruits d'un travail entamé il y a un peu plus de dix ans par Nasser Larguet", détaille-t-il au sujet de cet ancien responsable de centres de formation, sur place de 2007 à 2019, avant de notamment devenir entraîneur de l'OM.

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Concrètement, il s'est inspiré de ce qui se faisait à la FFF et a structuré la direction technique nationale (DTN). "D'abord, il y a eu des aménagements et chaque région a désormais un centre de préformation, avec pas mal d'éducateurs tricolores pour travailler à la base", décrit Landry Chauvin, actuellement en quête d'un nouveau challenge.

"Ensuite, Nasser Larguet a contribué à la formation d'entraîneurs pour prendre de l'avance sur les autres pays africains : aujourd'hui, le potentiel de joueurs le plus intéressant reste au Mali et au Sénégal mais la formation des cadres y est inexistante, alors qu'elle est permanente au Maroc. Forcément, ça rejaillit sur le travail fait avec les jeunes au quotidien", ajoute cet ex-formateur du Stade rennais. Le projet du Maroc a d'ailleurs commencé avec l'ouverture à la fin des années 2000 de l'académie Mohammed VI de Salé, que Nasser Larguet a un temps dirigé, avant de prendre les rênes de la DTN.

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Crédit : AFP

En plus du football, l’éducation des jeunes, dès 12 ans, est prise en charge par cette structure de 18 hectares. "La scolarité était assurée jusqu’au bac. Même s’il n’y avait qu’un seul jeune en filière scientifique, on lui ouvrait une classe. De la même manière, il y a des enfants qui n’étaient jamais allés chez le médecin et, pour la première fois, ils faisaient un check-up complet au niveau ophtalmologique, cardiaque, dentaire, musculaire", témoignait Nasser Larguet, maintenant en poste à la Fédération saoudienne, dans les colonnes de Ouest-France, l'an dernier.

Des binationaux scrutés dès l'adolescence

Autre élément décisif, le Maroc est devenu "le premier pays à avoir fait le forcing" pour attirer les joueurs binationaux. "Beaucoup de pays africains acceptent les binationaux une fois que les portes d'une autre sélection, comme l'équipe de France, se sont refermées pour eux. Mais la FRMF les sollicite dès la CAN U17 pour que les jeunes s'identifient très tôt au maillot de la sélection", décrypte Landry Chauvin.

À ce titre, l'inauguration en 2019 du complexe ultramoderne de Maâmora - le Clairefontaine marocain - a permis de réunir toutes les conditions pour des performances de haut niveau. De quoi convaincre les Brahim Diaz (Real Madrid), Eliesse Ben Seghir (Leverkusen) ou encore Amine Adli (Bournemouth) de rejoindre les Lions de l'Atlas. À ce jour, le seul prospect de taille ayant échappé au Maroc ? Lamine Yamal, certes pas des moindres.

Maâmora, c'est un truc de fou ! Il y a plus de 16 terrains, une piscine olympique…

Landry Chauvin, ex-adjoint du Maroc qui a ensuite travaillé à la FFF de 2020 à 2025

Dans la lignée de l'ouverture de ces installations, symboles de l'établissement du Maroc comme un grand du football mondial, le pays a remporté en cette fin d'année la Coupe du monde U20 et la Coupe arabe, disputée avec une majorité de joueurs évoluant dans les clubs du Royaume, tandis que ses sélections féminines progressent à vitesse grand V. In fine, il ne manque plus qu'un titre chez les A, devenus les premiers du continent africain à atteindre le dernier carré d'un Mondial au Qatar 2022 (qui plus est mené par le sélectionneur Walid Regragui qui s'est aguerri au pays), pour valider les efforts consentis.

Obligation de réussite face au marasme social

Ainsi, la pression est immense sur les épaules des partenaires du latéral du PSG Achraf Hakimi, en passe de faire un retour express après une blessure à la cheville début novembre. Sur le papier, les Lions de l'Atlas sont favoris de la CAN, eux qui restent sur une série de 18 succès, un record planétaire. Tout autre résultat qu'une deuxième victoire, un demi-siècle après la première, serait vu comme un échec.

D'autant plus que la jeunesse du pays appelle dans le même temps à des réformes sociales, par l'intermédiaire du mouvement Gen Z 212 (en référence à l'indicatif téléphonique du Maroc). Depuis septembre, ce mouvement de contestation est né à la suite du décès de plusieurs femmes en plein accouchement dans un hôpital d'Agadir. Le mot d'ordre, relayé également par certains joueurs ? "Marre des investissements pour le foot et rien pour le reste".

"Dans le pilotage des réformes, on observe encore les logiques d'un pays qui tourne autour du 60e rang mondial pour son produit intérieur brut (PIB) et dont l'indice de développement humain (IDH) est très éloigné de ce que son image laisse penser. Le Maroc est en cours d'émergence mais à une vitesse plus lente que la population qui, elle, croît et a des besoins immédiats. D'où cette opposition entre une politique royale de développement par le sport et une politique gouvernementale qui ne répond pas aux demandes de sa population", note Jean-Baptiste Guégan, chargé de cours à Sciences Po Paris sur le campus Afrique.

Le sport n'est plus vu comme un one-shot, mais comme quelque chose qui peut avoir des retombées sur différentes temporalités.

Jean-Baptiste Guégan, co-auteur de "La France n'est pas un pays de sport ?" (éd. De Boeck)

En d'autres termes, cette CAN est "un crash test" en vue de la Coupe du monde de 2030, selon ce spécialiste de la géopolitique africaine. "Ces événements doivent amener des espérances par la victoire sportive et la preuve de ses capacités à accueillir le monde pour se positionner comme une puissance africaine, mais aussi exister au-delà du seul continent. Il y a une volonté de construire un narratif national qui forge l'image internationale et l'attractivité du Maroc", poursuit-il, sachant que chaque événement sportif majeur est un accélérateur d'aménagements des territoires.

Si les stades sont magnifiques et que les structures hôtelières, ferroviaires et routières sont réussies, le mois qui arrive présente donc plusieurs enjeux pour Rabat, notamment celui de la sécurité, sur fond de rivalité avec l'Algérie et de menaces venant du Sahel. Mais le principal challenge sera de combler la population, car le désamour envers la sélection, encore palpable à la fin des années 2010 selon Landry Chauvin, n'est pas si lointain.

Le Maroc a toutes les cartes en main pour devenir un modèle d'expansion par le sport, à lui de transformer l'essai.

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