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Vocabulaire : quel est le sens caché de la "morgue" ?
Morgue comme mort, ou morgue comme fierté ? Certains mots ont des doubles sens surprenants, constate Muriel Gilbert.
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Crédit : aaron-burden/unsplash
Aujourd’hui, je vais vous faire entrer dans les coulisses du journal Le Monde, où comme vous le savez, quand je ne suis pas au micro de RTL ou en train de me faire les ongles, je corrige les fantaisies linguistico-orthographico-grammaticales des journalistes. Il était 9h05, un beau jour de cette semaine, et je travaillais avec toute une équipe sur la une du journal, mon rôle étant de corriger l’orthographe, mais aussi de répondre à toutes les questions de langue qui se posent dans l’instant.
Quelqu’un a annoncé qu’il y avait une erreur dans une phrase, qui lui semblait incompréhensible. À côté de lui, la personne chargée de la photo ne comprenait pas non plus : "Une pointe de morgue ? Mais qu’est-ce que c'est qu’une pointe de morgue ?" Je fais le tour du bureau, et je vais lire l’extrait : "'Les États-Unis possèdent plus d’armes nucléaires que tout autre pays, a ajouté [Donald Trump], précisant avec une pointe de morgue : La Russie arrive en deuxième position.'"
En dehors du fait que l’info n’est pas des plus légères, côté langue, je ne voyais pas le problème. Et j’ai finalement compris : ils entendaient morgue au sens de "lieu où reposent momentanément les morts". Alors évidemment, une pointe de morgue, dans ce sens-là, ça ne veut rien dire.
Une pointe de morgue ?!
Mais là il s’agissait d’un autre sens, certes moins courant, et surtout moins utilisé dans un quotidien comme Le Monde. La morgue, et c’est le premier sens que donnent à la fois le Petit Robert et le Petit Larousse 2026, c’est une façon littéraire de désigner une "attitude hautaine" ou l’"arrogance". Une pointe de morgue, c’est un chouïa d’arrogance, quoi.
Ce qui est étonnant, surtout, c’est que ce soit le même mot ! L'explication de mon cher Dictionnaire historique de la langue française, c’est que morgue désigne à l’origine (je vous parle là du XVIe siècle), "l’endroit d’une prison où les guichetiers examinaient les prisonniers avant de les écrouer", figurez-vous, "le passage de sens s’expliquant probablement par le fait que les gardiens dévisageaient, toisaient les prisonniers avec un mélange d’arrogance et de mépris".
Bref, ils les regardaient avec morgue ! Le mot a pris au siècle suivant seulement, donc au XVIIe, sa deuxième signification actuelle de "lieu où les cadavres sont exposés pour être identifiés"… C’est tout simplement la notion de dégoût, de recul, qui a sans doute conduit à cette étrange dérivation de sens.
Et si on passait à la question du jour, plus légère ?…
"Elle jouera la première"
Allez, on saute avec joie de la morgue à la cour de récré, youpi. Voici l’interrogation d’Eva, 8 ans, dont Stéphane Carpentier est l’heureux papa, eh oui. Eva qui continue de dire “en première", parce que, même si elle a entendu qu’il fallait dire "en premier", ça lui semble “trop bizarre” de parler d’elle au masculin… Elle pense à des exemples comme "Elle jouera en premier", ou "Elle est arrivée en premier"…
Et pourtant, Eva, même quand on est une fille, on arrive bien "en premier". Si tu trouves ça trop bizarre, tu peux dire "Elle jouera la première", ou "Elle est arrivée première". Mais "en premier", c’est ce qu’on appelle une "locution invariable", une expression qui ne bouge pas : pas de féminin, pas de pluriel. Et au passage, c’est exactement pareil pour "en dernier" : "Eva a parlé la dernière", mais "Eva a parlé en dernier." Bon dimanche, Eva !
