Langue française : "Queux", "bée", "bourrichon"... Ces mots qui n'existent (presque) pas

Amis des mots, me voilà tout sourire : c’est que j’ai reçu un de ces livres qui font ma joie et celle des amis des mots. Il s’appelle Ces mots qui n’existent pas (mais qu’on emploie quand même), c’est de Sylvie Brunet, aux éditions de l’Opportun.

Des mots qui n’existent pas… mais qu'on emploie quand même ?! Oui, le titre est un peu abusif, avouons-le. Il s’agit en fait de mots qui n’existent plus… que dans une expression, qui les a sauvés de la disparition. J’avais déjà consacré un Bonbon sur la langue à ces expressions qui, comme elles figent les mots ensemble, permettent parfois de conserver des termes qui ont disparu partout ailleurs.

J’avais notamment évoqué le fur du fur et à mesure, le prou de peu ou prou, le dam de 'à mon grand dam' (qui d’ailleurs selon l’Académie française devrait se prononcer comme une dent…), le couRRe avec deux R de la chasse à courre, etc. 

"Top chef" et maître queux

Passons aux pépites de mots que j’ai piochées dans ce nouveau livre. Tenez, puisque Top Chef, mon émission top-chouchoute, revient à l’antenne ces jours-ci, commençons par un synonyme de "chef cuisinier" qui engendre quantité de fautes dans les dictées… et pas mal de ricanements chez ceux qui justement ne savent pas l’écrire : le "maître queux" !

Oui, le maître queux, qui désigne aujourd’hui un grand cuisinier, n’a rien de grivois ni de rigolo, puisqu’il s’écrit bien queuX. Ce queux avec un X apparaît chez nous au XIe siècle, issu du latin coquus, du verbe coquere, qui signifie simplement cuire. Bref, le maître queux, c’est le maître cuiseur ! Voilà qui vous laisse bouche bée, n’est-ce pas, amis des mots ?

Et ça tombe bien, car voilà un autre mot, bée, qui n’a survécu que dans cette expression. Être ou rester bouche bée, c’est "être frappé de stupeur", l’image étant celle d’une bouche ouverte d’admiration ou d’étonnement. Vous pouvez chercher bée dans un dictionnaire, vous ne le trouverez pas seul : le mot ne veut plus rien dire, sauf associé au mot bouche. La bouche bée est une bouche béante, en fait, les deux mots étant issus d’un verbe devenu fort rare : béer, qui veut dire "être grand ouvert".

"Mais ou et donc or ni car"

Il y a quantité d’autres mots, comme ça, qui n’existent plus que dans une expression. Et dans expressions très courantes. Prenez d’ores et déjà : tout le monde sait que ça veut dire "dès maintenant, tout de suite". Mais "d’ores", vous avez déjà vu ce mot-là en dehors de cette locution, cet ensemble de mots ? Non ! Alors, kézako ?

Eh bien, cet ores est une variante de la toute bête conjonction or, celle de notre douce liste de l’école primaire "mais ou et donc or ni car" : "Je voulais me faire un café, or la machine est cassée." Cet or vient du latin hac hora, signifiant "à cette heure", détaille Sylvie Brunet, qui précise que l’ancien français connaissait également, en plus de d’ores et déjà, la locution d’ores en avant, en trois mots, qui est devenue… dorénavant en un seul mot.
On pourrait aussi parler du rigolo bourrichon, qui subsiste lui aussi dans une seule expression : "se monter le bourrichon" !

Alors que se monte-t-on, quand on se monte le bourrichon ? Eh bien on se monte la tête, tout simplement. On se fait des illusions. Un bourrichon, à l’origine, c’est une petite bourriche, un panier à huîtres par exemple. Bourrichon a pris en argot le sens de tête, explique le Dictionnaire historique de la langue française, "par une métaphore ironique commune à d’autres noms de récipients, comme la cafetière, la carafe, la tirelire, la fiole…"  Ce sens s’est perdu… sauf dans l’expression se monter le bourrichon.

Bon, en tout cas, je ne crois pas me monter le bourrichon si j’affirme qu’on se retrouve la semaine prochaine, amis des mots, et je m’en réjouis d’ores et déjà !

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