Thomas Edward Laurence est né sous le crachin du Royaume-Uni en 1888. Mais on aime bien dire que, dès son plus jeune âge, il a été habitué à mener une existence nomade. Tout au long de son enfance, ses parents ont en effet vécu une vie d’errance. Ils doivent dissimuler aux yeux du monde un lourd secret : ils ne sont pas mariés.
En 1896, ils se fixent à Oxford afin d'assurer une bonne éducation à leurs fils. Et notre jeune Thomas Edward, futur Lawrence d’Arabie a trouvé un nouveau point de chute : les bibliothèques. Il se passionne pour l’histoire médiévale, l’archéologie et la stratégie militaire.
Le 18 juin 1909, à l’âge de 20 ans, il s’embarque pour Beyrouth en solitaire. Le périple est une franche réussite : il parcourt près de 800 kilomètres, explore 36 châteaux disséminés en Syrie, au Liban et en Palestine. Il a développé une grande admiration pour les bédouins, ces tribus nomades qui n’ont pas été touchées par l’européanisation. Bref, il a découvert le Proche-Orient et cette passion ne le quittera plus. Une fois sa thèse soutenue brillamment fin 1909, il n’a plus qu’une seule envie : y retourner durablement.
En 1910, la chance sourit à Thomas Edward : David Hogarth, prof à Oxford l’a pris sous son aile, et il lui obtient une bourse pour participer à des fouilles au Proche-Orient. Lawrence est envoyé sur le site archéologique de Karkemish, à la frontière entre la Turquie actuelle et la Syrie. Hogarth espère y déterrer l’équivalent de la pierre de Rosette qui permettrait de déchiffrer la langue hittite : les ancêtres des Turcs en quelque sorte. Et pourtant, on ne la déterrera pas. Et Lawrence ne se découvrira pas une exceptionnelle vocation d’archéologue.
La vérité, c’est qu’il est passionné par le mode de vie arabe. Et contrairement à la plupart des Anglais qui l’entourent, il se distingue par son immense facilité à assimiler les codes de cette culture qui n’est pas la sienne. Comme il est curieux et excellent observateur, il finit par se dire qu’il serait un bon correspondant de presse. Mais c’est dans les bras du renseignement qu’il va être poussé.
Son mentor, Hogarth, avait sans doute une petite idée derrière la tête au moment où il a recruté le jeune Lawrence. Car Hogarth n’est pas seulement archéologue, il bosse en cachette pour les services secrets et il sait que la Grande-Bretagne a besoin de gars de la trempe de Lawrence pour collecter des informations fort utiles en temps de guerre. Nous sommes début 1914, et notre monde s’apprête à vivre un des conflits les plus meurtriers de l’Histoire.
Au Proche-Orient, la tension est palpable... Je vous brosse le paysage à grands coups de sabre : la péninsule arabique est sous le contrôle de l’Empire Ottoman (ça correspond grosso modo aux actuels Syrie, Liban, Irak et Arabie Saoudite). Un empire jadis immense tenu par les Turcs mais qui, de siècle en siècle, s’est réduit à peau de chagrin, avant de se rapprocher de l’Allemagne.
Cet Empire est peuplé en grande partie de tribus de langue arabe qui partagent toutes un point commun : ils en ont plein le dos de la colonisation turque ! Les Britanniques et les Français sont aussi bien implantés : ils ont construit des routes et ont des intérêts économiques un peu partout dans la région. C’est dans ce contexte brûlant que notre Lawrence est envoyé, coiffé de sa casquette de fouilleur de vieilles pierres, pour cartographier un désert stratégique : le Néguev.
Attention, l’excuse est bidon : il doit soi-disant "retracer l’itinéraire des Hébreux pendant l’Exode". Mais le but officieux, c’est surtout de collecter un maximum de données topographiques sur ce désert qui est un lieu de passage obligé si les Ottomans souhaitaient envahir l’Egypte qui, rappelons-le, est sous protectorat britannique. À son petit niveau, Lawrence prépare la guerre, qui ne tarde pas à éclater.
Lawrence s’engage dans l’Armée britannique, et sert au Proche-Orient. Comme il a fait ses premiers pas dans les affaires secrètes avec succès, il est affecté au service de renseignements du Caire fin 1914. Le bureau des affaires étrangères britannique y a pris ses quartiers, leur but : créer une alliance de circonstance entre les Britanniques et les nationalistes Arabes. Dit comme ça, cela ressemble un peu au mariage de la carpe et du lapin, mais les Anglais et les Arabes partagent un même objectif : éradiquer les Turcs de la péninsule arabique.
En juin 1916, le chérif Hussein Ben Ali, un des hommes forts du nationalisme arabe, déclenche le soulèvement. Ses troupes s’emparent de la Mecque. Médine, elle, résiste. C’est le début de la révolte arabe. Lawrence a 27 ans et il s’apprête à plonger dans l’épopée qui fera de lui une célébrité
Alors que le conflit se durcit en Europe et maintenant au Proche-Orient, Lawrence jusqu’ici assigné à des tâches bureaucratiques va entrer de plain-pied dans l’Histoire. Il est envoyé dans la région du Hedjaz, la région de La Mecque, où les fils de Hussein Ben Ali s’enlisent dans les combats contre les troupes turques. Lawrence connaît ce terrain par cœur pour l’avoir cartographié, il connait les Bédouins et leur langue et il a la stratégie militaire chevillée au corps. Bref, la panoplie de parfait agent de liaison, capable de faire coïncider l’action des Arabes avec les intérêts occidentaux.
En menant les tribus arabes du Hedjaz dans une inlassable guérilla contre l’Empire Ottoman, Lawrence a servi avant tout les intérêts de sa patrie, l’Angleterre. Mais il aura fait bien plus que cela. Il aura poursuivi un rêve : celui de voir advenir une véritable nation arabe pour ses compagnons d’armes. La désillusion fut cuisante…