Violeur de la Sambre : comment Dino Scala a-t-il pu sévir pendant 30 ans en toute impunité ?

26 février 2018, au petit matin. Dino Scala est arrêté sur le chemin de l'usine par le commandant Franck Martins et son équipe. Au volant de son véhicule, il obtempère incrédule avant de comprendre : il est accusé d'avoir violé des dizaines de jeunes femmes et ce, pendant 30 ans. Dino Scala est soupçonné d'être le "Violeur de la Sambre", du nom de cette rivière qui marque la frontière franco-belge.

L'arrestation fait la une des journaux. L'ampleur de ses crimes interroge : comment a-t-il pu commettre autant d'agressions pendant aussi longtemps ? C'est cette même question que se pose la journaliste Alice Géraud lorsqu'elle découvre l'affaire dans les journaux. "On sait qu'il a agressé et violé des dizaines et des dizaines de femmes - on avance le chiffre de 80 à cette époque-là, qui sera revu ensuite à la baisse - mais ça en fait le plus important violeur en série jamais arrêté en France", explique-t-elle dans Les Voix du crime.

La journaliste décide de prendre un train pour Maubeuge : elle veut comprendre. Elle rencontre une victime, puis deux, puis trois... Toutes les femmes lui racontent la même histoire. Celle d'une agression un matin noir d'hiver aux abords de la Sambre par un inconnu au visage masqué, un parcours judiciaire semé d'embûche, un traumatisme qui perdure. "Et c'est en écoutant le récit de ces femmes que je décide que cette histoire est beaucoup plus importante qu'elle n'y paraît et qu'elle raconte surtout autre chose qu'un fait divers, qu'elle raconte quelque chose de très important sur notre société", avance-t-elle.

On leur explique qu'il n'y a pas mort d'homme

Alice Géraud

Dans son livre intitulé Sambre. Radioscopie d'un fait divers (JC Lattès, 2023), Alice Géraud met en parallèle la vie a priori banale de Dino Scala - il se marie deux fois, a des enfants, entraîne le club de foot local, travaille à l'usine - et celle de ses victimes, traumatisées à vie à la fois par leur agression... et leur prise en charge par les autorités. 

"Pendant très longtemps, les policiers ne font pas le rapprochement, analyse-t-elle. Pourquoi ils ne font pas le rapprochement ? Alors ça, c'est une analyse personnelle, ils ne font pas le rapprochement parce qu'en fait, ils ne s'intéressent pas tellement à l'histoire, au récit de ces femmes. On considère pendant très longtemps que ce n'est pas grave. (...) Il y a cette phrase terrible - qui vient généralement d'hommes - on leur explique qu'il n'y a pas mort d'homme".

Une phrase qui résume la place accordée à la lutte contre les violences sexuelles avant que le mouvement #MeToo n'en fasse un sujet primordial. "Cette phrase, elle dit beaucoup de choses, insiste Alice Géraud. Souvent on leur a dit 'Tu as eu de la chance'. Il va falloir attendre douze ans après les premiers faits pour qu'une enquête soit ouverte et que des faits soient rapprochés. Puis cette enquête va être confiée à la police judiciaire de Lille. Et là, plusieurs policiers vont le chercher et pendant quasiment une vingtaine d'années, sans jamais le trouver."

Dino, c'est le gendre idéal

Alice Géraud

Parmi ces policiers se trouvent Franck Martins et son équipe. Au procès, le commandant de la PJ aujourd'hui à la retraite présentera d'ailleurs ses excuses aux victimes pour les dysfonctionnements dans leur prise en charge par l'institution policière. 

Pour autant, la problématique va bien au-delà du déroulé des dépositions et de l'enquête. Le livre d'Alice Géraud met en avant toute une culture de l'omerta autour des violences sexuelles. Lorsque Annick Matighello, la maire de Louvroil (commune de la Sambre), alerte en conférence de presse, on l'accuse de nuire à l'attractivité du territoire.

Et bien avant, c'est au sein-même de la famille de Dino Scala que les premiers faits sont dénoncés. Lors de son premier mariage, il est accusé d'agression sexuelle par une de ses belles-sœurs. "Dino, c'est le gendre idéal, celui qui rend service, on n'a pas envie de la croire, indique Alice Géraud. Et puis une seconde belle-sœur, quelques années après, se plaint de faits similaires et il est quasiment pris sur le fait donc là, on ne peut pas ne pas la croire. Ils font une sorte de conseil de famille et ils décident quoi ? Il ne décident rien".

Le message qui a été envoyé dans la vie de Dino Scala sur les violences sexuelles, c'est qu'on peut violer, on peut être dénoncé et il ne se passera rien.

Alice Géraud

Dino Scala lui-même est né dans une famille incestueuse : une de ses sœurs accuse leur père d'agression sexuelle. Malgré cette dénonciation, rien n'a été fait. Une (non-)réaction qui a eu selon Alice Géraud des conséquences dévastatrices.

"Le message qui a été envoyé dans la vie de Dino Scala sur les violences sexuelles, c'est qu'on peut violer, on peut être dénoncé et il ne se passera rien. Personne n'en a parlé et donc, en fait, c'est comme si ça n'existe pas. Son armure à lui, son sentiment d'impunité, c'est une armure de silence parce que personne n'en parle et donc il peut continuer à violer."

Ainsi, s'installe l'omerta et l'impunité de celui qui deviendra le "Violeur de la Sambre". Accusé de 56 viols et agressions sexuelles, Dino Scala est condamné en 2022 à 20 ans de réclusion criminelle pour 54 faits répertoriés depuis 1988. Un procès en appel se tiendra en 2024.

L’actualité par la rédaction de RTL dans votre boîte mail.

Grâce à votre compte RTL abonnez-vous à la newsletter RTL info pour suivre toute l'actualité au quotidien

Je créé mon compte Se connecter

S’abonner à la Newsletter RTL Info