Shaïna, brûlée vive à 15 ans : l'avocate de la famille retrace le "calvaire judiciaire" de l'adolescente et de ses proches
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Portrait de Me Negar Haeri, l'avocate de la famille de Shaïna Hansye, brûlée vive à 15 ans par son petit ami.
Crédit : JOEL SAGET / AFP
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Vendredi 25 octobre 2019, vers 22h, Shaïna Hansye, 15 ans, fait le mur pour rejoindre Driss*. Le couple s'est donné rendez-vous dans un cabanon désaffecté de la ville de Creil (Oise). La jeune fille est enceinte et souhaite convaincre son petit ami de garder l'enfant. Après une discussion, elle le pense convaincu et se dévêtit pour avoir une relation sexuelle. Alors que Shaïna est de dos, Driss l'assaille de plusieurs coups de couteau avant de brûler son corps.
Le corps calciné de Shaïna est retrouvé deux jours plus tard. Quelques jours après l'assassinat, la famille de Shaïna contacte Maître Negar Haeri. Dans Les Voix du crime, l'avocate se souvient de la tristesse de ce moment : "Ils sont encore dans un état de sidération (...) c'est un moment extrêmement douloureux". Les parents de Shaïna glissent alors une liasse de procès-verbaux à Maître Negar Haeri.
"Je me dis qu'il n'y a rien de plus grave que ce qu'il vient de se passer", confie-t-elle à RTL. Le lendemain, à son cabinet, elle décide d'étudier les feuilles qui lui ont été confiées. À ce moment-là, elle découvre "quelque chose d'abominable".
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Découvrir l'émissionCar deux affaires ont précédé l'assassinat. Me Negar Haeri découvre que deux ans avant sa mort, Shaïna, alors âgée de 13 ans, a porté plainte pour "viol en réunion" contre son ex-petit copain, Ahmed* et deux de ses amis. Un an et demi plus tard, elle a déposé plainte à nouveau contre ce même individu. Cette fois, pour un passage à tabac qu'il a commis avec ses copains. Et six mois plus tard, elle est assassinée par Driss, son petit ami au moment des faits.
Deux singularités frappent l'avocate. D'une part, deux jeunes hommes, qui ne se connaissaient pas et qui ne se sont pas concertés, ont fait subir à Shaïna "toutes les formes de violences qu'une femme peut subir" dans sa vie. D'autre part, en déposant plainte le soir même des faits de viols en réunion, "Shaïna a exactement fait ce qu'on conseille aux femmes de faire". Cette succession d'affaires interroge l'avocate : "Comment et pourquoi la justice n'a pas protégé cette gamine ?".
Ces interrogations donneront lieu à l'écriture de La Jeune Fille et la mort, publié en septembre 2025 aux éditions du Seuil. Ce livre a vocation à défendre Shaïna dans une "dernière plaidoirie" et à "réhabiliter sa parole", maltraitée par la justice selon l'avocate.
Driss, l'assassin de Shaïna, n'a jamais avoué les faits devant l'institution judiciaire. Mais il s'est vanté à plusieurs reprises auprès d'amis. Il a expliqué qu'il préférait tuer Shaïna plutôt que "devenir le père d'un bâtard". La réputation de "fille facile" construite de toute pièce par les bourreaux de Shaïna est ce qui lie les trois affaires, selon Me Negar Haeri. Une réputation que la justice n'a pas su maîtriser, déplore l'avocate. Pour elle, "la justice a validé l'idée que la réputation sulfureuse de cette gamine aurait eu un rôle dans ce qu'elle dénonce".
Shaïna a été acculée comme si elle était une mise en cause alors même qu'elle était la plaignante
Me Negar Haeri, avocate de la famille de Shaïna
Maître Negar Haeri estime que la jeune fille a davantage été maltraitée lors de ses auditions que son assassin à son procès. L'avocate affirme que lors de la confrontation à ses agresseurs dans la première affaire, celle pour "agression sexuelle et violences en réunion", Shaïna a été "acculée comme si elle était une mise en cause alors même qu'elle était la plaignante". L'adolescente n'est autorisée qu'à quelques secondes de répit pour sortir de la salle et prendre l'air alors que son assassin s'est vu accepter toutes ses demandes de suspensions d'audience lors de son procès.
Elle a vécu un "calvaire judiciaire", à commencer par l'attitude de la personne qui va recueillir sa première plainte. Le procès-verbal fait état du commentaire suivant, écrit par cette femme : "Shaïna ne montre pas de signes d'expression, ne manifeste aucune expression particulière". Me Negar Haeri perçoit en cette phrase que la jeune fille ne serait pas considérée comme "la bonne victime". Cette phrase sera d'ailleurs utilisée comme un argument par la défense pour faire comprendre que son état émotionnel ne coïncidait pas, selon eux, avec le viol dénoncé.
Pour les trois affaires Shaïna, il y a eu au total cinq procès : trois en première instance et deux en appel. Les audiences ne se sont pas tenues dans l'ordre chronologique. Dans la première affaire pour "agression sexuelle et violences en réunion", à l'issue du procès en appel, les peines vont d'un à deux ans de prison avec sursis.
Le procès de l'assassin de Shaïna s'est tenu en 2023 devant la cour d'assises des mineurs de l'Oise à Beauvais. Il a été condamné à 18 ans de réclusion criminelle. L'avocat général en avait requis trente. Pour Me Negar Haeri, les magistrats sont complètement passés à côté de la "personnalité dangereuse de Driss".
Elle ajoute : "À chaque fois qu'il était sur le point d'exploser parce que les questions le mettaient trop en cause, il demandait ces fameuses suspensions qui étaient systématiquement accordées. Donc à chaque fois, il avait cette espèce de sas de décompression qui fait qu'il n'a pas explosé pendant l'audience mais au moment du verdict." À la lecture de la décision, Driss invective la cour en hurlant. Il n'a toutefois pas interjeté appel, ce que Me Negar Haeri considère comme un aveu de culpabilité. Elle regrette que le parquet n'ait lui pas fait appel après cet épisode de colère.
Je regrette tellement ce rendez-vous manqué avec la justice
Me Negar Haeri, avocate de la famille de Shaïna
L'ultime procès est celui en appel de la deuxième affaire, celle du passage à tabac. Il a eu lieu en 2025. Ahmed a écopé de vingt mois d'emprisonnement dont quatorze avec sursis. Le mis en cause ne s'est pas présenté à son procès. "Cette deuxième affaire, c'est l'aveu d'impuissance de la justice puisqu'Ahmed, au moment où il frappe Shaïna avec ses copains, il est sous contrôle judiciaire et a l'interdiction de contacter Shaïna."
Aujourd'hui, l'avocate aimerait dire "pardon" à Shaïna : "J'aimerais qu'elle sache qu'on a fini par la croire (...) Elle est morte avec l'idée que la justice s'était détournée d'elle. Elle est morte avec l'idée que tout le monde l'avait prise pour une menteuse, une allumeuse, une fille par qui le malheur des hommes arrive. Et je regrette tellement ce rendez-vous manqué avec la justice. Parce qu'elle n'a pas su qu'elle avait tout gagné. Que les juges ont fini par la croire, même s'il a fallu énormément se battre".
Maître Negar Haeri, avocate de la défense lors du procès des attentats du 13-Novembre a "une très haute opinion de la justice qui sait se mobiliser quand il le faut", mais elle déplore le manque de moyens accordés aux affaires liées aux violences faites aux femmes. "La justice se fout des violences faites aux femmes", conclut-elle.
* Prénom d'emprunt.
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