Lundi 24 juin 1991, aux alentours de 17 heures, les gendarmes Martial Liedtke et Jean-Louis Teulière inspectent la Chamade, une grande et luxueuse villa posée sur une colline de Mougins et surplombant la baie de Cannes. Les gendarmes ont été alertés de la disparition de la propriétaire, Ghislaine Marchal, 65 ans.
La veuve, richissime, vit seule dans la demeure. Elle n'a plus donné de ses nouvelles depuis dimanche ce qui n'est pas dans ses habitudes. Les gendarmes de la brigade de Mougins poussent toutes les portes. Maison vide. Personne. Jusqu'à la chaufferie où, ici, la porte résiste. Elle est bloquée de l'intérieur par un lit pliant et un tube métallique reposant sur un chevron de bois. Comme si quelqu’un s'était barricadé.
Quand la porte métallique finit par s'ouvrir, les deux gendarmes tombent sur le corps de Ghislaine Marchal. Elle git sur le ventre. Pas moins de dix plaies dites transperçantes, un coup profond porté à la gorge. Deux inscriptions, manifestement écrites par la malheureuse avec son propre sang, sont visibles. "Omar m'a T." avec un T majuscule sur la porte de la chaufferie. Et "Omar m'a Tuer" sur celle de la cave, Tuer avec un R, faute de syntaxe grossière, ce qui est étonnant de la part de cette femme férue de mots croisés.
Ghislaine Marchal n'a qu'un seul Omar dans son entourage. Son jardinier. Le Marocain Omar Raddad, 29 ans. Il est immédiatement le suspect numéro un. L'individu nie les faits, décline un emploi du temps qui ne va jamais varier. La dernière fois qu'il a vu Ghislaine Marchal c'était vendredi aux alentours de 17h15. Depuis, Il n'a pas remis les pieds à la Chamade.
Dimanche, il travaillait dans la propriété d'une autre dame, Madame Pascal. Elle confirme. De multiples empreintes papillaires sont relevées sur le lieu du crime mais pas celles du jardinier. Malgré l'absence de preuves et la pugnacité de son premier avocat, Jacques Vergès, Raddad est renvoyé devant la Cour d'assises des Alpes-Maritimes à Nice, condamné le 2 février 1994 à 18 ans de prison.
Il en voulait sans doute à l'argent de sa patronne. Il s'est disputé, elle a résisté, il l'a frappée et égorgée, celle-ci l'a dénoncé dans un ultime souffle. Omar Raddad va faire plus de sept ans de prison. Affaire rondement menée sauf que les doutes s'épaississent et submergent les esprits. Neuf ans après les faits, 31 octobre 2000, deux graphologues ne peuvent certifier que les inscriptions sont bien de la main de Ghislaine Marchal.
27 décembre 2000, une expertise indique qu'une trace de main ensanglantée, près de l'inscription "Omar m'a Tuer" est composée du sang de la victime mais aussi de sang masculin. Mais toujours pas celui d’Omar. Malgré ces premières découvertes, la justice reste sourde à une éventuelle relance des investigations. Dès 2001, il apparait que de l'ADN masculin présent sur la scène de crime, notamment mêlé aux inscriptions de sang, n’est en aucun cas celui de Raddad.
La demande d'un nouveau procès est toutefois rejetée. Dossier sans issue, jusqu'à ce que la nouvelle avocate du jardinier, Me Sylvie Noachovitch, relance la piste prometteuse de l'ADN. 2014, l'avocate demande et obtient de nouvelles expertises. Le résultat prend de longs mois pour se dessiner mais il est stupéfiant. Quatre empreintes génétiques masculines détectées sur les portes de la cave et de la chaufferie, deux exploitables, deux partielles. Elles n'appartiennent pas au jardinier.
En 2019, un rapport conclut que l'un de ces quatre ADN apparait 35 fois dans les lettres de sang. Trace ADN déposée au moment du meurtre, par quelqu'un qui a participé à l'écriture. Un inconnu à ce jour non identifié.
- Jean-Marie Rouart, académicien et auteur d'Omar la
fabrication d’un d’une injustice chez Bouquins éditions.