Les tirs mortels de policiers suite à des refus d'obtempérer explosent : il y en a eu quatre fois plus en quelques mois. La dernière affaire remonte au mardi 30 août : un homme 23 ans a été abattu près de Tourcoing alors qu'il tentait d'échapper aux policiers, au volant d'une voiture volée. Après avoir décortiqué les chiffres du ministère de l'Intérieur, le résultat est sans appel.
Depuis le début de l'année 2022, huit personnes ont été tuées par des policiers après un refus d'obtempérer. En 2021, on n'a compté que deux morts, en 2020 un seul. Ces chiffres sont issus des rapports très publics de l'IGPN, l'inspection de la police nationale, même s'il a fallu faire les additions car ils n'apparaissent pas en tant que tels.
On peut donc d'ores et déjà parler d'année record. Parmi les affaires les plus marquantes, il y a celle du Pont-Neuf à Paris en avril avec deux frères abattus après avoir redémarré lors d'un contrôle, sur fond de vente de stupéfiants. La justice est saisie, deux policiers ont été mis en examen. On peut également citer le drame de Barbès à Paris en juin, avec une passagère de 21 ans morte d'une balle dans la tête. Là, les policiers impliqués ne sont pas poursuivis à ce stade. On pourrait aussi citer Nice, Lyon ou Aulnay-sous-Bois.
Huit morts en moins d'un an, ce chiffre est impressionnant et les explications varient en fonction des interlocuteurs. Les syndicats de police y voient d'abord le signe d'une augmentation globale de violence. Preuve en est, selon eux, la multiplication des refus d'obtempérer, désormais un toutes les vingt minutes. Plus de refus donc plus de tirs policiers et ainsi plus de morts.
Cela ne veut pas dire que le problème est nié, au contraire. Exemple avec David Lebars secrétaire général du syndicat national des commissaires. "On ne peut pas nier le fait que c'est une augmentation inquiétante, qui pose la question de la violence à laquelle les policiers font face et celle de la façon dont la police réagit. Il va falloir qu'on regarde ça de près car cette inquiétude-là, je la partage avec les policiers qui sont face à ces drames, eux-mêmes très impactés et traumatisés. Ça n'arrivait pas dans les générations précédentes pour les policiers du quotidien". Des policiers du quotidien confient pour certains leur extrême tension désormais à chaque contrôle, ce qui n'était pas le cas il y a dix ans.
Un seconde explication est avancée notamment par Sébastien Roché, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la police, auteur de La nation inachevée : les jeunes face à l’école et la police (Ed. Grasset). Pour lui, la multiplication des tirs mortels c'est d'abord la conséquence d'une loi votée en 2017. Celle-ci élargit la possibilité pour un policier d'ouvrir le feu sur un véhicule en fuite. "Cette loi dit finalement : 'tirer sur un véhicule en mouvement c'est légal', et à partir du moment où c'est légal, le policier ne peut pas être tenu pour responsable de ses actes. Généralement on sait que plus vous accordez de protections légales aux fonctionnaires, plus vous allez avoir de violences policières et de tirs", explique-t-il.
Après le vote de la loi le nombre de tirs a d'ailleurs bondi à 202 en 2017. Il est redescendu à 157 l'an dernier mais reste plus élevé qu'avant la loi. Précision importante, qui montre que la question est complexe : du côté des gendarmes, qui font face à autant de refus d'obtempérer que les policiers, les tirs mortels n'augmentent pas.