“Émile Louis était quelqu'un de finot” : le magistrat qui l’a condamné raconte le procès du “boucher de l’Yonne”

En octobre 2004 commence le procès de celui que l’on surnomme le “boucher de l’Yonne”. Émile Louis, 70 ans, est accusé d’avoir tué sept jeunes filles handicapées dans la région, plus de vingt ans auparavant.

Le septuagénaire a été arrêté par la police varoise quatre ans plus tôt, le 14 décembre 2000. Face aux gendarmes, il avoue avoir tué Françoise, Christine, Jacqueline, Chantal, Madeleine, Bernadette et Martine, surnommées "les disparues de l'Yonne". Puis, il se rétracte. 

Lors de son procès, l’accusé nie jusqu’au bout les faits qui lui sont reprochés, regrette dans Les Voix du crime le magistrat à la retraite qui a présidé le procès d’Émile Louis, Jean-Pierre Getti. Il raconte le procès qu’il a présidé dans Juger à hauteur d’homme, paru aux éditions Michalon en 2025.

Une maîtrise des rouages de la justice

Émile Louis n’en est pas à son premier procès. Avant le procès d’Auxerre, en mai 2004, le criminel a déjà été condamné à 20 ans de réclusion criminelle à la suite d’une plainte déposée par sa femme et sa fille pour "viols" et "actes de tortures et de barbarie". Vingt-trois ans avant le procès des "disparues de l’Yonne", Émile Louis a été interpellé pour le meurtre de Sylviane Durand-Lesage, avant d’être relâché et mis hors de cause. En 1983, il a été condamné à cinq ans de prison pour agressions sexuelles sur mineure dans une autre affaire.

Un multirécidiviste qui connait les rouages de la justice, comme l’explique le président du procès de l’Yonne. "Émile Louis était quelqu’un de finot. C’est quelqu’un de rusé et qui se rend compte qu’un certain nombre de questions qui peuvent lui être posées sont dérangeantes", explique Jean-Pierre Getti. L’accusé n’aimait pas le ton “trop agressif et trop incisif” employé par l’avocat général et les avocats des parties civiles.

En conséquence, il décide pendant un temps du procès de ne répondre qu’au président de la cour, qui, lui, se doit de "conserver une certaine part de neutralité, voire de sérénité", poursuit Jean-Pierre Getti. Bien que flatté par cette décision, l’ancien magistrat déplore que les parties civiles et l’accusation n’aient pas eu de réponses à certaines de leurs questions.

Il n’avait pas pu résister à des pulsions parce que vivait en lui une bestiole qui le poussait à agir

Jean-Pierre Getti, président de la cour d'assises lors du procès d'Émile Louis

Vers la fin des débats, Jean-Pierre Getti témoigne d’un moment où l’accusé aurait pu avouer les sept crimes qu’il a perpétrés. Le président de la cour remarque deux éléments concordants quand il étudie le dossier : lors de son jugement pour viol à Draguignan, Émile Louis explique son passage à l’acte par "une bestiole en lui qui le poussait à agir". À Auxerre, il fournit la même explication aux gendarmes lors de son arrestation, avant de se rétracter.

C’est alors que Jean-Pierre Getti décide de lire à voix haute la déclaration de Draguignan, sans la présenter comme telle. Émile Louis pense alors qu’il s’agit de la déclaration d’Auxerre. Pour le président, c’est un argument de preuve : “Mais monsieur, si vous avez reconnu avoir agi sous la pulsion de cette bestiole que vous reconnaissez à Draguignan et que vous dites à Auxerre exactement la même chose qui vous aurait poussé à agir, c’est donc que vous avez agi pareillement et que par conséquent, vous seriez à l’origine de la disparition, voire du meurtre de ces jeunes filles ?”.

Ce n’est plus le juge à l’accusé qui parlait, mais l’homme à l’homme

Jean-Pierre Getti, président de la cour d'assises lors du procès d'Émile Louis

S'ensuit un échange yeux dans les yeux entre Émile Louis et le président de la cour. "Ce n’est plus le juge à l’accusé qui parlait, mais l’homme à l’homme", décrit l’ancien magistrat. Jean-Pierre Getti a senti que l’accusé allait reconnaître, "et puis subitement, il a tourné la tête et j’ai perdu son regard. Et c’était fini", se souvient-il.

La délibération avec les jurés est le moment qui a le plus marqué Jean-Pierre Getti lors de ce procès. Pour lui qui a présidé 450 procès criminels, les jurés de l’Yonne se démarquent par “un bon sens naturel” et un sens du détail dans leur travail.

Jusqu’au verdict, le 25 novembre 2004, Émile Louis n’avouera pas. Jean-Pierre Getti regrette : selon lui, un aveu aurait été “un très grand soulagement, pour lui et pour les victimes et les parties civiles". Émile Louis est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sureté de 18 ans. Il fait appel, et sa condamnation est confirmée. Il décède en 2013 à l’hôpital de Nancy, sans avoir livré tous ses secrets puisque seuls deux corps ont été retrouvés.

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