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6 min de lecture
Une photo de la justice équilibrant les balances. (Illustration)
Crédit : LOIC VENANCE / AFP
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L’invraisemblable scénario est devenu réalité. Muriel M., à la tête depuis près de 30 ans d’une entreprise de plasturgie installée près d’Oyonnax, a bel et bien commandité un contrat sur la tête d’un salarié "gênant", adhérent à la CGT. C’est en tout cas ce qu’elle a fini par reconnaître face aux enquêteurs de la brigade criminelle de la police judiciaire parisienne le 6 mai dernier, au troisième jour de sa garde à vue, d’après les investigations dont RTL a pu prendre connaissance.
"Monsieur V. m’a effectivement proposé au cours d’un repas de le faire disparaître [le syndicaliste], déclare spontanément Muriel M. aux policiers à la reprise de son audition, ce à quoi j’étais réticente. Quinze jours après il a rappelé (...) il m’a mis la pression et j’ai dit oui. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai dit oui."
En trois phrases la cheffe d’entreprise, après 48 heures de dénégations, valide alors les accusations de Frédéric V., cerveau présumé de la cellule criminelle démantelée en janvier au sein d’une loge franc-maçonne et qui avait révélé à la justice, parmi d’autres, le funeste projet. Muriel M. se dépêche d’ajouter "j’étais faible et influençable", avant de conclure : "j’ai réalisé que j’ai fait une grosse connerie".
Ces aveux permettent de comprendre pourquoi la mère de famille de 54 ans a été mise en examen, le 7 mai dernier, pour association de malfaiteurs en vue de commettre un meurtre et placée en détention provisoire, comme RTL l’avait révélé. Ils viennent aussi confirmer la dangerosité de la cellule aujourd’hui neutralisée où se mêlaient francs-maçons, anciens policiers du renseignement et barbouzes en tous genres.
Au cours de ses quatre jours d'auditions, Muriel M. a partiellement levé le voile sur la mécanique qui a conduit une quinquagénaire au casier judiciaire vierge à adhérer à un projet criminel digne d’un film noir.
Point de départ : la rencontre fortuite avec Frédéric V., expert revendiqué en matière de sécurité et d’intelligence économique, et "vénérable" de la loge Athanor de Puteaux. La cheffe d’entreprise et son mari font sa connaissance en Suisse début 2019 lors d’une soirée organisée par la marque de montres Hublot, où il est venu avec sa compagne. Le courant passe, les deux couples échangent leurs coordonnées.
Dans les mois qui suivent, ils se retrouvent à plusieurs reprises, au cours de repas et de week-ends au ski. Frédéric V. est "sympathique" et a "du charisme", raconte Muriel M. aux policiers même si elle se dit "un peu sur la réserve" car l’homme est peu disert sur ses activités.
Mais il se présente comme un ancien des services secrets et sait gagner la confiance du couple. L’amitié prend une dimension professionnelle quand la patronne le fait venir en janvier 2020 dans son entreprise pour réfléchir à un audit de sécurité.
C’est à la
même période que les frictions se multiplient entre la dirigeante et un de ses
salariés en poste depuis quatre ans, Hassan T. Le mécanicien de 52 ans, adhérent
à la CGT, a d’abord sympathisé en novembre 2018 avec le mouvement des "gilets
jaunes" et s’est rendu presque chaque soir sur le rond-point voisin de Brion.
Muriel
M. raconte qu’elle l’a trouvé "obnubilé",
et qu’elle lui a demandé "d’essayer de se calmer" car il en parlait "à tout le monde à l’atelier". En novembre 2019 elle apprend
qu’il a participé à une manifestation contre la réforme des retraites à
Bourg-en-Bresse "sur ses heures de délégations", ce qui a
été rapporté par un autre membre de l’entreprise et qui met "en colère" la patronne.
Enfin en
décembre 2019 Hassan T. se fait élire au CSE. Muriel M. relate alors sa "crainte" qu’il ne fédère d’autres
salariés autour de lui et que "des
syndicats se déclarent (…) après
on perd l’esprit familial", d’après ses déclarations aux policiers. C’était
sa "phobie" confirme son
frère, co-dirigeant de l’entreprise. Aucune section syndicale ne verra jamais
le jour mais la RH propose quand même au salarié une rupture conventionnelle,
qu’il refuse.
C’est là que Muriel M. s’ouvre du sujet à Frédéric V. Elle "rouspète", c’est ainsi
qu’elle le formule, et dit tout haut dans son bureau qu’elle souhaiterait que
Hassan T. "disparaisse". "Mes mots ont dépassé ma pensée", affirme-t-elle au cours des premières auditions.
Mais lors d’un
nouveau diner des deux couples, l’expert en sécurité se mute en tueur à gages. Le
sujet est de nouveau évoqué. "Il
m’a dit qu'en fait ces choses pouvaient arriver, qu’il avait la possibilité de
le faire disparaitre, raconte Muriel M. aux enquêteurs. (…) il m’a dit que 600 personnes disparaissaient chaque jour en France". Pour enfoncer le clou Frédéric V. charge la CGT d'"organisme néfaste" dont il décrit les pires turpitudes au
sein des petites entreprises. Sa cliente rétorque qu’il est "hors de question" d’éliminer
quelqu’un.
Quinze jours plus tard pourtant, le deal mortel est validé lors du
fameux coup de téléphone, c’est en tout cas ce que relate la cheffe d’entreprise.
Le contrat sur la tête du syndicaliste fera partie d’un "pack" formation + audit +
élimination. Le tout pour environ 80.000 euros, réglés en "quatre factures", adressées aux différentes sociétés de
Frédéric V.
D’après les déclarations de Muriel M., le complot est dissimulé à
son frère, président de l’entreprise et éternel complice qui a développé avec
elle la PME familiale. Entendu par la brigade criminelle, ce frère, Laurent B., a d’ailleurs été libéré sans suite.
Lors de ses
dernières auditions, Muriel M. a affirmé qu’elle avait très vite été prise de
remords et changé d’avis. Deux semaines après la soirée fatidique, selon ses
déclarations aux policiers, elle aurait tenté d’arrêter la machine infernale : "Cela m’a torturé (..) quand j’ai vu fin février
que Mr T. était toujours là j’ai dit 'on arrête tout stop !!'" Un
contre-ordre aurait alors été explicitement donné à Frédéric V. par téléphone.
Problème :
à ce stade Frédéric V. ne l’a jamais évoqué au cours de ses auditions et Muriel
M n’a jamais demandé de remboursement. La cheffe d’entreprise maintient que, pour
elle, il ne faisait aucun doute que le projet était abandonné.
La suite de
l’affaire est connue. Le contrat sur le syndicaliste a été confié à Sébastien
L., l’un des bras armés du groupe criminel. Des surveillances ont été organisées et de nombreuses photos de la
maison et des véhicules de la cible ont été prises. Lors de sa garde à vue en janvier, Sébastien L. a affirmé qu'il avait alors réalisé que Hassan T. avait une femme et des enfants et mis fin de lui-même au projet sans en référer à ses supérieurs.
Frédéric V. certifie quant à lui que c'est après la découverte par la police, le 24 juillet
2020, d’une autre tentative d’assassinat menée par la cellule criminelle, et dirigée
cette fois contre une coach en entreprise de Créteil, qu'il avait décidé de stopper le contrat sur Hassan T.
Les enquêteurs sont
ensuite patiemment remontés jusqu’à Frédéric V. et Sébastien L., interpellés en
janvier dernier. Les deux suspects ont alors révélé le contrat d’Oyonnax. Depuis
lors la brigade criminelle avait placé sous surveillance Muriel M. et son mari,
avant de les interpeler le 4 mai.
L’époux, Gérard M., a lui aussi été mis en
examen pour association de malfaiteurs en vue de commettre un meurtre. La
justice le soupçonne d’avoir été au courant du projet criminel de son épouse et
de n’avoir rien fait pour l’arrêter. Ses dénégations lors de sa garde à vue n’ont
pas convaincu à ce stade les magistrats qui l’ont également placé et maintenu en
détention provisoire.
Entendu également
par les enquêteurs, Hassan T. a eu beaucoup de peine à croire au scénario
criminel dont il a été la cible. "Se
débarrasser de moi, franchement je n’arrive pas à comprendre pourquoi".
Au cours de l’audition, le mécanicien a peu à peu changé d’avis : "Maintenant que je vous vois je commence à y
croire". Le syndicaliste avait en fait été informé dès mars dernier par
des journalistes du soupçon de contrat placé sur sa tête. Mais il était alors convaincu
qu’il y avait "erreur sur la
personne".
L’affaire avait fortement ébranlé l’usine et les deux
patrons avaient organisé plusieurs réunions avec le personnel. Hassan T. a relaté
avoir eu "des doutes" sur
Muriel M., devenue "un peu plus
sympa" avec lui mais sans finalement porter plainte, convaincu que tout
cela "ne s’adressait pas à la bonne
personne". Face aux enquêteurs, ébranlé, le père de famille conclu : "Ca me fait bizarre tout ça. Même si j'ai été emmerdant, j’ai jamais été
mauvais au point qu’on en veuille à ma vie".
Contactés
par RTL, les avocats de Muriel M., Gérard M., Frédéric V. et Sébastien L. n’ont pas souhaité
s’exprimer.
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