Ce serait un expert du poison. L'un des plus célèbres au monde. Ce bandit d'envergure internationale est suspecté d'avoir assassiné au moins 18 personnes. Pourtant, rien n'aurait laissé présagé une carrière d'une telle ampleur.
Du statut de "petite frappe", dès ses 19 ans, il bascule dans le grand banditisme en droguant et détroussant les touristes qui parcourent l'Asie. Au point de faire la une des journaux en Inde, après un spectaculaire braquage de bijouterie dans lequel il réussit à s'enfuir avec le magot. Un parcours semé de meurtres sur plusieurs continents.
Sobhraj est né au Vietnam, en 1944. Il grandit à Marseille puis à Paris, et sombre très jeune dans la délinquance : vols de voitures, agressions, petits larcins. Avant de décider de prendre le large à 7.000 kilomètres de Paris en 1971, direction l'Inde.
Là-bas, il traîne dans les rues de New Dehli, accompagné de son épouse, Chantal Compagnon. Tout d’abord à Bombay, où il joue les playboys séducteurs. Le beau parleur, sympathique et amical s'est vite spécialisé dans le détroussage des touristes, hippies et beatniks, attirés en masse en ces années 70 par le mirage indien.
Il les rassure, les guide, puis finit par endormir certains avec un cocktail de somnifères pour les délester de leur argent. "Tant que je peux parler aux gens, je peux les manipuler", dira t-il un jour. Peu ou pas de plaintes. La police indienne a bien d'autres chats à fouetter.
À New Dehli, Sobhraj veut désormais signer un gros coup : le casse audacieux de la bijouterie de l'hôtel Ashoka. Pour cela il a séduit
une danseuse américaine, Gloria Mandelik, dont la chambre est juste au-dessus
de la bijouterie. Il lui a fait croire qu'il était directeur d'un casino à
Macao et allait lui faire signer le contrat de sa vie.
La danseuse est
ligotée, séquestrée pendant trois jours. Sobhraj perce un trou dans le
plancher. Accède à la boutique où il dérobe un sac de diamants. Mais il est
rattrapé à l'aéroport, puis jeté en prison d'où il s'échappe en simulant une crise
d'appendicite. Il est repris, paye une caution et disparait avec son épouse
Chantal, loin de l'Inde.
En 1975, quatre ans après le casse de la bijouterie, Charles
Sobhraj a pris ses quartiers dans une petite maison du quartier Saladaeng,
Kanith House, à Bangkok. Après avoir sévi en Afghanistan, en Turquie ou encore
en Grèce, autant de pays où il a connu les tribunaux et la prison, il s'est
fixé en Thaïlande.
Le Français, qui se fait alors appeler Alain
Gautier, courtier en bijoux, touche au trafic d'héroïne et à celui de pierres
précieuses. Ici aussi, il dépouille les jeunes touristes repérés sur les
plages. De jeunes routards accueillis à bras ouverts à Kanith House qu'il drogue et fait sombrer dans un semi coma. Avant qu'ils se réveillent sans le sou au coin d'une
rue.
La première plainte est déposée par un couple d'Australiens. Mais aucune enquête n'est déclenchée. Les Français Dominique
Renelleau, Jean-Jacques Philippe, Yannick Mesy tombent malades. Ils vont
passer quatre mois entre les mains de Sobhraj, sans avoir la force de pouvoir
quitter la villa, à la merci de leur protecteur qui assure les protéger.
Le 17 octobre 1975, Charles Sobhraj et Marie-Andrée Leclerc abordent sur
la plage de Pattaya, une jeune hippie Américaine, Teresa Ann Knowlton, 18
ans. Elle est entraînée en boite de nuit, droguée au Mogadon, un sédatif versé
dans un café. Un pêcheur retrouve son corps sur la plage, vêtu d'un simple
bikini. L'Américaine a été étranglée.
C'est le premier meurtre répertorié de Sobrahj
qui confiera plus tard à un biographe avoir tué car il n'aimait pas les
drogués. D'autres cadavres vont alors être retrouvés sur le sable de Pattaya,
celui d'un touriste turc et de sa petite amie française, Stéphanie Parry,
qui le recherchait. Même destin tragique en 1975, pour un couple de Néerlandais. Retrouvés tabassés puis brûlés. Toutes ces victimes ont transité par Kanith House.
Tant que je peux parler aux gens, je peux les manipuler
Charles Sobhraj
La police commence s'intéresse à cette série noire, l'œuvre d'un inconnu surnommé le Bikini
Killer, le tueur de bikinis, références aux touristes qui fréquentent les plages.
Les meurtres de six touristes lui seront ainsi attribués, bien qu'il ait démenti ces accusations. Certains spécialistes avancent qu'il aurait copié le mode opératoire d'un autre meurtrier pour tenter de s'en sortir.
Il est finalement arrêté en 1976 au Vikram Hotel, après avoir poussé une vingtaine d'élèves ingénieurs originaires de Tarbes, en voyage d'études en Inde, à ingérer un médicament contre la dysenterie, occasionnant des malaises en série. Ce sera son dernier méfait.
Jugé en 1977 pour plusieurs meurtres, il purge sa peine dans la dernière et seule prison d'où il n'a jamais pu s'évader. Celle de Katmandou, au Népal. Et L'an prochain, en septembre 2023, il pourra demander à être libéré, à l'âge de 79 ans.
- Dominique
Renelleau, survivant de Charles
Sobhraj.
- Pierre
Prakash, ancien journaliste,
correspondant en Asie pour Libération.