La sanction la plus lourde qui pourrait être prise contre la Russie, c'est de la sortir du système financier baptisé SWIFT. Cette sanction est tellement forte qu'on la surnomme "l'arme de dissuasion financière", aussi puissante qu'une arme atomique. C'est d'ailleurs pour ça que les occidentaux repoussent le moment où ils pourraient prendre cette décision. Ce serait la dernière pièce à jouer sur l'échiquier.
SWIFT, c'est un système belge qui a été créé en 1973 pour favoriser les paiements et les transferts d'argent d'un pays à un autre. Une messagerie cryptée et sécurisée qui valide les transactions financières dans le monde entier. Une sorte de passeport financier.
Prenons un exemple : une entreprise française achète pour 100.000 euros d'acier à une entreprise de KRIVOY-ROG. Elle va faire un virement de la somme à son fournisseur russe qui pourra choisir s'il souhaite se faire payer en euros ou en roubles. Un message crypté va donc être envoyé sur SWIFT qui va authentifier et valider la transaction. Un tampon informatique avec un numéro d'opération qui certifie l'identité de l'acheteur et du vendeur et qui vérifie que l'argent a bien été versé.
C'est le système de certification le plus répandu : 11.600 banques utilisent ce système dont les 115 établissements les plus importants d'Europe et c'est SWIFT qui est utilisé dans 200 pays pour les transactions financières d'un pays à un autre. On compte 42 millions de transactions par jour dans le monde.
Si l'accès à SWIFT venait à être fermé aux entreprises russes, les conséquences seraient importantes pour l'économie du pays. La Russie est une économie qui vit grâce à ses réserves de matières premières : le pétrole, le gaz, les céréales... Tous ces produits s'échangent dans le monde en dollars. Si Moscou est exclu de la plateforme, les transactions vont être plus lentes. Il va falloir revenir à des systèmes papiers, fax, mails qui sont beaucoup moins sécurisés. Les conversions du rouble en dollars vont être plus complexes, et ça peut pousser les pays partenaires à chercher d'autres sources d'approvisionnement.
Cela va recroqueviller la Russie sur elle-même. En 2014, lors de l'annexion de la Crimée, on avait déjà brandi cette menace et on avait estimé que l'impact pourrait être de 5 points de PIB. Pour vous faire une idée, le PIB russe a progressé de pratiquement 5% l'an dernier. Donc ça mettrait le pays à l'arrêt.
Précisément pour la raison évoquée en début d'article. SWIFT, c'est la menace nucléaire. C'est censé être un outil de dissuasion. C'est la dernière cartouche au niveau économique.
Que se passerait-il si on s'apercevait que ça n'a pas l'impact dévastateur qu'on imagine ?
Depuis 24h, on découvre un peu abasourdis que Vladimir Poutine se prépare depuis longtemps à envahir l'Ukraine. C'est sans doute vrai pour l'économie aussi. Il y a des réserves de changes qui permettent de tenir de longs mois. La mesure SWIFT n'aurait donc pas d'effet immédiat sur l'économie russe. Et on sait que Moscou a commencé à monter un système parallèle qui pourrait se substituer à SWIFT en signant des accords avec la Chine.
Le fond du problème, ce qu'on a besoin de la Russie comme partenaire commercial. On coupe la Russie du reste du monde économique mais le reste du monde économique n'a plus accès au marché russe, au niveau du gaz et du pétrole notamment. Or, le premier partenaire économique de Moscou, c'est l'Union Européenne. Et de très loin. On sanctionne un des 20 pays les plus riches du monde. Ce n'est pas Cuba, la Corée du Nord ou l'Iran.
La banque VEB est surnommée la "Tirelire du Kremlin" mais c'est aussi la banque des transactions pour les pétroliers TotalEnergies, Shell ou Eni. La Société Générale possède Rosbank, une banque en Russie qui compte 235 agences sur le territoire et 2 millions de clients. Les compagnies françaises font travailler 160.000 russes dans le pays. Nous sommes le premier employeur étranger de Russie... Ce qu'il faut montrer, c'est que nos économies sont liées. Ralentir la Russie, c'est aussi ralentir l'Europe.
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